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Groupes partisans LGBT : Concilier engagement politique et militantisme LGBT

Xavier Héraud

Comment faire de la politique en étant militant sur les questions LGBT? En intégrant un groupe partisan tel que Homosexualités et socialisme ou Gaylib par exemple. Ces groupes ou associations sont-ils utiles  ? Si oui pour les droits ? Pour leurs membres ? On est allés à poser la question à quelques un.es de leurs représentant.es. 

On les croise souvent dans les prides et/ou les différents salons associatifs LGBT.  Les associations LGBT+ des partis politiques font maintenant partie intégrante du paysage militant. Nous avons voulu en savoir un peu plus sur elles, sur leur fonctionnement et leur utilité, que ce soit pour leurs membres ou pour l’avancée des droits LGBT. Il y a aujourd’hui moins d’une dizaine d’associations ou commissions partisanes LGBT+.

Du côté gauche de l’échiquier politique on trouve le groupe thématique LGBTI et droits nouveaux à LFI, Fièr.es et révolutionnaires au PCF, la commission LGBT+ à EELV, Homosexualités et socialisme (HES) au Parti socialiste et du côté centre droit / droite, on retrouve Cent’Egaux au Modem, Progressistes LGBT+ à Renaissance et Territoire de Progrès et Gaylib au Parti Radical (après avoir été affiliée à Démocratie Libérale, l’UMP et l’UDI).Seuls les partis historiquement opposés aux droits LGBT, LR et le RN ne comptent pas de commission ou de mouvement associé, malgré des élu.es ouvertement gays.  

Il y a deux modèles : soit des structures indépendantes, sous le statut d’association loi 1901, comme HES, Gaylib, Progressistes LGBT, Centr’Egaux ou des groupes ou commissions internes au parti, comme Fièr.es et révolutionnaires, la commission LGBTQI+ d’EELV, le groupe LGBT et Nouveaux droits de LFI. Les associations travaillent ensemble à l’occasion, selon les affinités politiques. C’est le cas pour les groupes du Nouveau Front Populaire ou pour les groupes de l’ancienne majorité d’Emmanuel Macron, Progressistes LGBT et Centr’Egaux. Les associations sont généralement liées par une convention, qui leur assure une représentation au sein du parti. Un avantage pour Sophie Roques, présidente d’HES (photo ci-dessus, au centre): « Cela nous permet une certaine liberté dans nos prises de décision. Nos prises de position, nos communiqués de presse ne sont pas validées par le Parti socialiste, mais au niveau de l’association. Cela nous permet des circuits de validation qui sont plus simples, plus souples que ce peuvent être les circuits des partis politiques. »

Un rôle de lobby auprès des élu.es ou des gouvernants

L’un des premiers objectifs de ces mouvements est bien évidemment de faire avancer leurs sujets au sein de leurs partis auprès des membres et/ou des élu.es en fonction. Au premier rang desquels, évidemment les parlementaires. « Moi je n'ai pas de problème avec le mot lobby », glisse Catherine Michaud de Gaylib, avant d’ajouter : « le rôle aussi des assos politiques, c'est aussi de faire le lien avec les parlementaires, parce que nos sujets sont politiques, et in fine, il faut l’accès au législateur. Et ce travail de relais, de lobby, d'explication, de pédagogie auprès des parlementaires, si Gaylib ne le fait pas à droite, personne ne le fera à notre place. »Même son de cloche chez Sophie Roques, qui précise que sur ces sujets là, HES n’est pas seule :  « On s'attache à avoir des relais. On en a aussi pas mal au niveau des jeunes socialistes qui sont plutôt proactifs sur les sujets LGBT. Et ça nous permet d'essayer de porter des propositions. » Les associations sont également là pour accompagner le travail législatif. « Même si dans cette période c’est compliqué d’aller chercher des majorités sur les textes », reconnaît l’élue marseillaise.

A EELV, Jean-Baptiste Lachenal, membre du bureau de la commission LGBT affirme que la commission a de vrais liens avec les parlementaires et élus locaux: « Comme plusieurs membres de la commission travaillent en politique, on arrive à avoir des liens assez faciles. » C’est d’ailleurs son cas, puisqu’il travaille au Sénat, comme collaborateur parlementaire d’Anne Souyris. « Et pour nos élus locaux, on a notre réseau d'élus LGBT partout en France. Donc ça aussi, ça aide à faire remonter des choses, à avoir des remontées sur le terrain », ajoute-t-il.

Courroie de transmission

Le rôle peut être à l’occasion celui de courroie de transmission. Eric Arassus, du bureau de la commission d'EELV donne un exemple : « L'année dernière les Jeunes écolos se sont mobilisés sur les questions trans. On a relayé au sein de la commission, on a réussi à faire passer une motion, un texte dans le parti. Et après [la sénatrice] Mélanie Vogel s'est emparée de ces sujets. Ça a été vraiment en forme d'entonnoir. C’est parti d'en bas, de la base des jeunes écolos parce qu’il y avait des personnes concernées et après notre sénatrice s'est emparée du sujet. »Le problèmes des élu.es, c’est qu’avec les élections, certain.es s’en vont parfois. Et ça complique la tâche des groupes partisans. Pour Progressistes LGBT, Jean-Michel Goustour, regrette ainsi d’avoir perdu des « fers de lances » lors des dernières élections législatives, comme la députée Laurence Vanceunebrock, qui s’était engagée sur la PMA et qui avait porté le texte sur les thérapies de conversion, battue aux élections en 2022 et Raphaël Gérard, qui a perdu son siège après la dissolution de 2024. « Il y a d’autres gens, comme Brigitte Liso, mais c’est vrai qu’après la dissolution on a perdu un certain nombre de relais », déplore-t-il. Et comme le résume Sophie Roques, « On sait qu'aujourd'hui, plus on a de parlementaires, plus on a de chances d'avoir des parlementaires qui sont réceptifs et porteurs et proactifs sur les sujets. »

Mettre les sujets sur la table

S’il faut convaincre, c’est que les partis politiques n’épousent pas naturellement les revendications du mouvements LGBT. Et même quand le parti a pris position en faveur d’une mesure, il faut faire le service après-vente derrière et convaincre les élu.es réticent.es. On se souvient ainsi de la débâcle du premier vote du Pacs, en 1998, qui avait échoué, faute de députés de gauches présents dans l’hémicycle.Il y a des sujets aussi où les groupes partisans se retrouvent précurseurs. Sophie Roques évoque ainsi la gestation pour autrui (GPA) : « HES est tout à fait favorable à une GPA éthique, non commerciale et encadrée, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui du Parti socialiste. Donc on a un peu ce rôle de, quand on peut, de mettre ces sujets sur la table. Ce qui n'est pas toujours évident, mais on s'attache à le faire, notamment quand on a des échéances électorales. »

C’est encore plus vrai à droite. Fondée au sein de Démocratie Libérale en 2001, Gaylib a ensuite rejoint l’UMP, avant de claquer la porte au moment du mariage pour tous, « pour ne pas faire caution » aux positions violemment anti-mariage du parti. Aujourd’hui, le mouvement soutient la création d’une GPA éthique, alors que le sujet est un vrai repoussoir dans tous les partis mais encore plus ceux de droite. « Le rôle des associations associés à des partis politiques, ce n’est pas d’être béni oui-oui, réagit Catherine Michaud. J'ai toujours tenu à ce que Gaylib ait cette liberté de parole. Et quand on n'est pas d'accord savoir le dire, ça ne veut pas dire qu'on va aller laver notre linge sale dans la presse. »Les désaccords peuvent certes se régler en interne, mais ils peuvent à l’occasion devenir publics. Lorsqu’au moment des débats du mariage pour tous, François Hollande a évoqué la « liberté de conscience » des maires, HES n’a pas manqué d’exprimer son désaccord. Quand lors de la campagne pour les législatives, le président de la République Emmanuel Macron juge « ubuesque » la revendication du changement d’état civil en mairie, Progressistes LGBT fait savoir sa réprobation sur X : en « déplorant vivement » les propos du chef de l’Etat et en lui rappelant au passage ses promesses de campagne sur le sujet. L’association a aussi travaillé avec Gérald Darmanin et son cabinet pour convaincre le ministre de l’Intérieur, qui avait combattu le mariage pour tous, de s’excuser. Jean-Michel Goustour (photo ci-contre) : « Son cabinet avait du mal à comprendre qu'il fallait faire quelque chose. Et on a réussi par des contacts directs à faire comprendre qu'à l'amorce des 10 ans du mariage pour tous, il fallait qu'il se positionne très clairement sur le sujet. Notre rôle n’était pas de lui ce qu'il avait à faire, mais de lui dire, ce n’est pas quelque chose qu'on va faire ensemble, c'est vous qui devez le faire. Ce qu'il a fait d'ailleurs avec une longue interview faite à la Voix du Nord, puis France Info. »

 

Le lobby fonctionne-t-il? En d’autres termes, si les partis politiques avancent sur les questions LGBT, le doit-on à leurs associations politiques ? On a posé la question à l’historien Hugo Bouvard, auteur de l’excellent livre Gays et lesbiennes en politiques, publié en 2024 aux Presses Universitaires du Septentrion : « C'est toujours difficile d'évaluer parce qu'en fait, quand un parti adapte son programme, inclut des propositions, c'est souvent la conjonction de différentes dynamiques. Ce n'est pas un seul acteur comme les groupes LGBT partisans qui sont 100% créditables pour ça. Il y a d'autres dynamiques, il y a la pression aussi du mouvement militant, qui fait des manifs, il y a plusieurs facteurs concomitants. Donc c'est difficile de répondre de manière claire et tranchée de « oui, ils ont joué un rôle décisif » ou « non, en fait, c'est des faire-valoir, ils n'ont pas pesés ». L’historien cite malgré tout le travail d’HES au moment du pacs et du mariage pour tous, celui de la commission gay et lesbienne des Verts au début des années 2000 quand la revendication du mariage a commencé à prendre forme, ou le travail de Gaylib sur les différentes mesures adoptées par la droite quand celle-ci est revenue au gouvernement en 2002.

Au final, Hugo Bouvard voit plutôt le verre à moitié plein : « Je pense qu'ils ont pesé ou ils ont participé à ce que les partis politiques prennent en compte les revendications élaborées dans le mouvement LGBT, souvent élaborées en dehors de ces groupes partisans, mais parfois élaborées aussi au sein de ces groupes partisans. » Pour l’historien, les partis peuvent d'ailleurs trouver bien commode de sous-traiter les questions LGBT : « Certains partis étaient bien contents finalement que ce travail de réflexion intellectuelle et programmatique soit pris en charge, parce que sinon personne d'autre ne s'y intéressait. C'est un peu une tension entre externalisation de ce travail et après qui on crédite pour ce travail. Donc, je dirais que ça a quand même bien arrangé les partis qu'il y ait un groupe en leur sein ou associé qui travaille sur ces questions-là, parce que souvent, c'était quand même un peu la dernière roue du carrosse et personne ne travaillait sur ces questions-là dans le parti. »

L’utilité pour les membres

Au delà de l’avancée des droits, les mouvements partisans LGBT bénéficient aussi à leurs membres. Sophie Roques : « Je suis dans une fédération historiquement méditerranéenne, avec ce que ça peut supposer de machisme sous-jacent. Les questions LGBT ont souvent été en retard à Marseille historiquement. Donc oui, ça permet aussi de trouver sa place dans le débat socialiste et parfois aussi dans le débat public, parce qu'on a aussi une vocation à HES de porter de la visibilité en politique aussi. C'est important d'avoir des candidats et des candidates LGBT sur des listes socialistes. » Cela peut mener aussi à une forme d’incompréhension pour Jean-Baptiste Lachenal d’EELV : « Il y a la particularité que par rapport à d'autres commissions thématiques, comme la commission transport ou autre :  une partie des gens viennent dans notre commission parce qu'ils sont LGBT et pas forcément parce qu'ils ont envie de faire de la politique là-dessus directement. » D’autres comme Emmi, membre du bureau de la commission d’EELV, savent en revanche pourquoi ils ou elles sont là : « Si j'avais eu envie de militer directement sur les questions LGBT, je ne pense pas que je serais allée directement dans un parti politique. C'est parce que j'étais dans le parti et que j'étais bien dans le parti que les opportunités d'entrer aussi à l'aide que je suis arrivée comme ça ». Est-ce pour autant utile pour faire avancer sa carrière? Pour Catherine Michaud (photo ci-dessous), conseillère régionale en Ile de France et membre de l’exécutif de la Région, ses fonctions politiques n’ont rien à voir avec son appartenance à Gaylib. Sophie Roques, elle, était déjà élue à Marseille avant de prendre la présidence de l’association, donc la question ne se pose pas. Mais François Vauglin, par exemple, le maire du XIème arrondissement de Paris a été président d’HES et plusieurs membres ou anciens présidents de l’association ont eu des responsabilités dans ce même exécutif local. Pour Hugo Bouvard, il n’y a pas vraiment d’effet tremplin : « Je pense que quand on dirige un groupe LGBT partisan, on peut avoir accès à une investiture locale, mais ce n'est pas non plus un boost important pour la carrière. Il n'y a vraiment que dans le XIème arrondissement parisien, il y a eu cet effet de cooptation et de masse critique de militants d'HES qui ont fait qu'ils ont quand même eu pas mal d'influence sur la section PS locale, mais en dehors de ça, non. »

A défaut, les mouvements peuvent pousser les candidatures de personnalités, membres ou non du mouvement LGBT.  Eric Arassus, d’EELV: « Nos belles victoires, on peut le dire c'était Mélanie Vogel (sénatrice) et Mélissa Camara (députée européenne). Alors qu'en vérité on n'a pas beaucoup de lesbiennes, on en a peut-être un peu plus que d'autres partis, mais on a réussi à les mettre en position éligible l'une et l'autre donc on était assez contents et contentes. »

Relations parfois tendues avec les militants associatifs

Les groupes partisans LGBT ont la plupart du temps, certes un pied en politique mais aussi un pied dans le monde militant et associatif. Plusieurs d’entre eux sont d’ailleurs membres de l’Inter-LGBT. Et on peut régulièrement voir leurs chars lors des Prides. A EELV, on se targue d’être proches du milieu associatif. Emmi : « C’est dans l’ADN d’EELV, et il y a beaucoup de gens des assos qui sont dans le parti.» Les groupes partisans peuvent également servir d’intermédiaire avec le monde militant LGBT.  Pour Catherine Michaud, cela permet notamment de donner un accès aux élus ou aux gouvernants : « Gaylib aujourd'hui c'est aussi une marque, finalement. Je pense qu'on est estampillés comme sérieux. Récemment nous avons été reçus par Catherine Vautrin, Ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, et j'ai souhaité proposer à l’APGL de m'accompagner. C'était important de pouvoir les embarquer dans ce rendez-vous et qu'ils puissent faire passer les messages. »

Les militants associatifs en revanche ne voient pas toujours d’un bon oeil les groupes partisans, qui se retrouvent parfois assimilés à la politique de leur parti, à juste titre ou non. C’est particulièrement vrai pour les groupes partisans de droite et centre-droit qui se retrouvent parfois chahutés lors des prides. Gaylib en a fait les frais. Catherine Michaud ne s’étend pas trop le sujet. Elle attribue ces actions à des militants « d’extrême gauche » et regrette que le milieu associatif se soit « radicalisé ».De con côté, Jean-Michel Goustour garde en mémoire une action lors de la pride de 2017, lorsque le groupe qui s’appelait à l’époque En Marche LGBT avait été bloqué par plusieurs militants : « Souvent c’est le NPA qui se poste à un endroit et ils essaient de nous couper du reste de la marche.” Il n’y a pas d’atteinte physique. Je ne cacherais pas qu’à un moment il y avait des gens dans l’organisation de la marche qui voyaient ça d’un très bon œil, mais je ne dirais pas ça aujourd’hui. Il y a des gens qui avant tout nous considèrent comme des ennemis politiques. Pour certains, on est carrément à l’extrême-droite. »

Afflux de membres à EELV

Aujourd’hui, chacun.es des groupes revendiquent quelques centaines d’adhérents et de sympathisant.es. La plus structurée, privilège de l’ancienneté sans doute, est incontestablement HES, fondée en 1983, qui compte une douzaine d’antennes dans les autres villes ou régions. A la commission EELV, on a noté un afflux de membres suite à la dernière dissolution et grâce à l’aura de l’actuelle responsable du parti, Marine Tondelier. A l’approche des élections municipales, qui auront lieu en 2026, les groupes se mobilisent pour faire exister leurs sujets et soutenir d’éventuels candidat.es. Tou.tes restent également vigilant.es dans un contexte de montée des extrême-droites partout dans le monde et tentent bon an mal an d’aller arracher de nouveaux droits. Autant dire qu’il y a du pain sur la planche.

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