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Heddy, victime d’un guet-apens : « Pour moi, la seule façon d'aller mieux, c'est d'en parler »

Xavier Héraud

Heddy, 26 ans, a été victime d'un guet-apens homophobie début février à Nice. Il tient à témoigner. 

Un guet apens homophobe de plus, cette fois-ci à Nice, début février. Heddy Reynaud, un militant associatif de 26 ans, croyait rencontrer un autre homme après avoir discuté avec lui sur Grindr. Ils étaient en fait deuxà l’attendre dans la rue, à l’adresse où ils lui avaient donné rendez-vous. Les deux malfrats ont agressé et volé le jeune homme, le laissant avec diverses blessures, dont un traumatisme crânien. Aujourd’hui, Heddy Reynaud tient à témoigner, pour que, selon la formule désormais célèbre, « la peur change de camp ». 

STROBO: Tout d’abord, comment vas-tu? 

Heddy Reynaud: Je suis en vie. Je suis assez terrifié. Quand je dois sortir de chez moi, j'appréhende. En journée, ça va. A partir de 18h, quand il fait nuit, j'ai peur. Après, Nice est l’une des villes les plus sécurisées de France, donc ça me rassure. Mais oui, j'ai quand même peur. Quand j’entends des pas derrière moi, je me retourne. Je fais attention maintenant à qui j'ai derrière moi, même à 50 mètres. Voilà, je suis devenu méfiant, alors que je ne l’ai jamais été.

Peux-tu nous raconter les circonstances de ton agression?

J'ai échangé sur Grindr avec un garçon qui m’a envoyé sa photo, une photo banale, un garçon barbu avec un bonnet. On devait se rencontrer. Il m'a donné une adresse, dans une impasse. J'ai eu beaucoup de mal à trouver cette adresse. Je devais voir une seule personne, mais ils étaient deux. Je les ai croisés en bas de l'impasse. L’un des deux, beaucoup plus petit que l’autre est resté je pense à faire le guet et le deuxième, le plus grand, 1m80, un barraqué, la vingtaine, qui était bel et bien jeune mais qui ne correspondait pas tellement à la photo. Je m'en souviens vaguement, mais en tout cas de ce que j'ai pu voir, il n'avait pas tellement de rapport avec la photo envoyée. Le plus grand m'a escorté dans cette impasse. Je pensais aller dans son appartement. C'est là où s'est déroulée l'agression. L'impasse est assez étroite, donc je me suis rapidement retrouvé collé contre le mur. Il m'a demandé de l'argent. J'ai compris que le plan allait se dérouler autrement. J’ai d’abord pensé qu’il était escort. Donc je lui ai répondu que je n'avais aucun argent sur moi. Il a insisté et puis il m'a pris par le col et là il m'a redemandé en disant de ne pas avoir peur, qu'il me parlait gentiment — une conception de la gentillesse bien à lui. C’était assez bizarre quand même de me dire ça, de me rassurer et à la fois de me prendre par le col. Ensuite, le deuxième est arrivé, qui lui, il était peut-être là comme voyeur, je ne sais pas, mais qui était sous la domination de l’agresseur 1, celui qui me tenait. Puis, rapidement, le grand a mis sa main sur mon cou et a commencé à m’étrangler. Il serrait mais pas trop, pour que je puisse quand même parler. Il m'a dit donne-moi tes papiers, ton portable. Je lui ai dit que non, j'avais rien sur moi. A ce moment-là, je me suis dit, ça y est, ça va mal se passer, je vais en mourir. Mais je suis resté calme, je n'ai pas hurlé, je ne me suis pas débattu, je suis resté droit, je l’ai regardé dans les yeux, j’ai dit il n’est pas question que je te passe mon portable. J’ai voulu ne pas montrer de peur. Je voulais malgré tout essayer de rester maître de la situation, même si je n'y suis pas arrivé. Et puis après, en fait, plus rien. Il m'a étranglé. J'ai perdu connaissance. Donc je pense qu'il m'a étranglé jusqu'à l’asphyxie.J'ai perdu connaissance, trou noir. Pendant, je ne sais pas, une minute, deux minutes. Au bout d'un moment, j'ai entendu un son strident derrière la tête, ça m’a réveillé. Plus tard, j'ai appris que ma tête avait percuté le mur violemment donc j'ai eu un traumatisme crânien. Et puis après, plus rien. Je me suis réveillé, seul dans cette impasse. Je ne savais plus du tout où j'étais. J'ai demandé à des passants d'appeler la police, ça a été assez long. Et c'est tout ce dont je me souviens. Je souffre actuellement de douleurs au coccyx, moins fortes qu'il y a 15 jours mais je souffre encore ; je boîte, la mâchoire est quand même abîmée ; ils m'ont explosé la lèvre, ça a été douloureux. Je souffrais de la main également, ça se répare, mais bon… Ils n'avaient pas de couteau, pas d'arme blanche. Ça a été leurs mains, leurs poings qui m'ont suffisamment causé des dégâts. Mais le point positif, c'est que je suis en vie et que je peux témoigner. 

Pourquoi justement tiens-tu à témoigner aujourd’hui?

Je témoigne parce que je suis militant, mais aussi parce que beaucoup de personnes aujourd'hui ne témoignent pas. J'ai déposé plainte et une enquête est en cours, mais tout le monde ne dépose pas plainte, et encore plus, en parle dans les médias.Comme je suis militant pour SOS Homophobie et administrateur du Centre LGBT de Nice, je ne pouvais que le faire. C'est important de dire qu'il y a des personnes comme moi à qui c’est arrivé. Si ça peut inciter des personnes à parler, à libérer la parole, je suis ravi. Je suis quand même en souffrance psychologique. Ça m'est arrivé arrivé encore hier d'être traversé par des émotions. L’agression était violente pour moi mais comme j'ai des trous noirs, je n'ai que des émotions. Je ne fais pas encore de cauchemars. Tout ça n'est pas encore arrivé. Mais c'est une souffrance psychologique de me dire que j'ai des séquelles, que j'en souffre. Pour moi, la seule façon d'aller mieux, c'est d'en parler.

Comment s’est passé ton dépôt de plainte?

Tout s'est bien passé. Après, j'avais déjà déposé plainte plusieurs fois et je connais bien les procédures judiciaires. J'ai été bien reçu, tout s'est bien passé. Je n’ai pas attendu. J'ai même demandé au gardien de la paix qui a pris ma plainte de mettre le caractère aggravant en raison de l'orientation sexuelle. Moi, je suis averti, je suis informé. Mais il arrive que ponctuellement, certaines victimes soient mal reçues en France. Moi je m'en suis bien sorti. Mais après, parce que je suis informé, j’aurais eu les ressources d'informer le Parquet si j'avais été mal reçu ou de saisir l’IGPN. Peu de personnes le savent, mais quand le dépôt de plainte se passe mal, on peut saisir l’IGPN, la police des polices. J’étais au courant de tout ça donc j'étais serein à l'entretien.

Du nouveau sur les agresseurs?

Non, je sais que l'enquête est en cours, je sais qu'il y a des caméras qui doivent être exploitées. J'ai espoir. J'espère qu'on les retrouvera. Je n’en sais pas plus à vrai dire. Après, je suis incapable de les reconnaître. Et ça, ça me fait vraiment souffrir. Parce que du coup, si je ne peux pas faire de portrait robot, je ne peux rien faire. Je m'apprête à faire une thérapie régressive justement, sous hypnose, pour essayer de me rappeler cette agression, enfin, en tout cas, ces trous noirs, et peut-être pouvoir les retrouver.

Dans le communiqué de presse, SOS homophobie appelle les applications de rencontre à sensibiliser ses usagers, c’est quelque chose qui pourrait être utile selon toi?

La haine en ligne ne touche pas forcément les personnes LGBT, elle touche tout le monde. Donc oui, on doit continuer à agir. Mais tout repose sur les associations. L'État doit continuer à jouer son rôle là-dessus. Grindr est une application américaine mais elle est présente sur le territoire français donc elle devrait aussi coopérer massivement avec les services de police. Parce que là, par exemple, cette application a les archives et les informations des personnes qui ont créé le compte. Mes agresseurs, on peut les retrouver avec cette application. Donc je pense qu'ils doivent jouer leur rôle et aussi protéger. Il y a plus de 13 millions d'utilisateurs actifs par mois, c'est gigantesque. Donc ils doivent protéger les victimes, ou ceux qui pourraient devenir des victimes, et pas les agresseurs.

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