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De la Maison des homosexualités au CGL : l’histoire de la création du Centre LGBT de Paris

Xavier Héraud

En une trentaine d’années les Centres LGBT se sont imposés comme des lieux centraux  du paysage associatif queer des villes françaises. Strobo mag vous raconte l’histoire de la naissance du tout premier centre, à Paris.

Lieux d’accueil et de convivialité, d’activités associatives et militantes, ou source de renseignements… Les centres LGBT+ sont des lieux incontournables de la vie communautaire. La France en compte aujourd’hui plus d’une vingtaine. Le premier à ouvrir, ce fut le Centre LGBT de Paris, en 1994, dix ans après la création du  Lesbian & Gay Community Center de New York. Mais l’idée avait commencé à germer quelques années auparavant. A la fin des années 80 et au début des années 90, la communauté gay est touchée de plein fouet par l’épidémie de VIH. C’est le début des « années noires », qui dureront jusqu’à l’arrivée des trithérapies en 1996. Face à l’hécatombe et à l’indifférence des pouvoirs publics, le besoin de soutien communautaire se fait ressentir et les associations tentent de s’organiser. En octobre et décembre 1990, Gai Pied Hebdo (Source: Les années Gai Pied (1979-1992), Editions Des ailes sur un tracteur, de Thomas Dupuy) relate les réflexions autour de ce sujet : « à Paris 65% des malades du sida sont homosexuels. Ils ont besoin d’une « maison des gais » où ils pourront parler de leur séropositivité, trouver de l’information… Les travaux de réflexion se multiplient et Thierry Meyssan (Projet Ornicar) et Jean Le Bitoux (Arcat Sida) finissent par proposer des statuts pour une fédération d’association en vue de la création d’un centre gai. Las, ce projet est désapprouvé par la plupart des membres du collectif, qui critiquent un manque de liberté pour les associations membres et, disons-le, se méfient de ses promoteurs ».

Pour donner un peu de perspective, Jean Le Bitoux, fondateur de Gai Pied en 1979, est en froid avec son ancien journal. D’où peut-être le ton acerbe des journalistes, qui poursuivent : « coup de théâtre pourtant le 7 décembre : soutenu par Aides Paris Ile-de-France et son représentant Dominick Le Fers, Jean Le Bitoux tente un coup de force et annonce l’ouverture d’un centre gai expérimental. Il a même choisi de l’installer dans un lieu mythique, l’appartement de Frédéric Edelmann [l’un des fondateurs de Aides], du 25 rue Michel Lecomte, qui a déjà vu naître l’association Aides en 1984 ». Ce lieu se nomme la Maison des homosexualités. Il est financé par l’Agence Française de Lutte contre le sida. Dans la brochure La folle histoire du Centre, que nous avons pu consulter grâce à l’Académie Gay et Lesbienne (http://www.archiveshomo.info/), le militant Thomas Dupuy décrit cette première tentative de lieu interassociatif ouvert au public : « le lieu permet surtout aux associations de se réunir et fédérer leurs actions. Il met à disposition du public une bibliothèque et un centre de documentation, un service d'accueil et de réponse téléphonique, des services d'orientation et d'aide psychologique, juridique et sociale. Il reste néanmoins trop exigu pour pouvoir recevoir convenablement le public. Une lettre d'information mensuelle, le Gai Bulletin, est mise en place et diffusée à près de 3 000 exemplaires. »

Mais la MH n’évolue pas vraiment, limitée par les 40 mètres carrés de son local et minée par diverses crises interassociatives et interpersonnelles. Si bien qu’au cours de l’année 1992, la nécessité de passer à la vitesse supérieure finit par s’imposer et les associations parviennent tant bien que mal à se mettre d’accord sur un nouveau projet. « Le Centre Gai et Lesbien est donc constitué par l'Assemblée Générale le 18 janvier 1993, et déclaré auprès de la Préfecture de Police de Paris le 22 mars, publié au Journal Officiel le 7 avril, relate La folle histoire du Centre. (...) La plupart des grosses associations ont répondu présent, malgré les divergences qui peuvent exister dans la communauté. »

Si l’aventure est collective, l’influence d’un homme en particulier semble avoir eu une importance certaine : « ce projet-là a pu aboutir enfin notamment grâce à la volonté de Cleews Vellay, président d'Act Up-Paris, qui, se sachant malade, finit par taper du poing sur la table et par demander à chacun de mettre ses récriminations en veilleuse afin de créer ce CGL qu'il souhaite connaître de son vivant… », écrit Thomas Dupuy dans La folle histoire du Centre. Pour les responsables du CGL, il y a tout à (re)créer : il faut d’abord définir le projet, trouver les financements et surtout identifier un lieu qui permette vraiment d’accueillir le public. Début 1994, Philippe Labbey militant à Act Up-Paris et compagnon de Cleews Vellay, prend la présidence du Centre. Grâce à une subvention d’Ensemble contre le sida, qui organise notamment le premier Sidaction cette année-là, le projet peut enfin se concrétiser. Le 1er avril, le CGL ouvre enfin ses portes au 3, rue Keller (D’où le nom du magazine du Centre, le 3 Keller, dont l’une des couvertures illustre cet article), dans le XIème arrondissement. Les locaux, situés en rez de chaussée, avec une vitrine ouverte sur la rue, abritaient auparavant une galerie d’art. Ils font 125 mètres carrés, soit le triple de l’appartement de la maison des Homosexualités. L’homme d’affaires Pierre Bergé se porte garant pour le bail. Le succès ne se fait guère attendre. Le public et les militant.es sont au rendez-vous. Et puisqu’il n’y a pas que Paris dans la vie, le Centre va faire des émules à Montpellier, Lyon et Tours… Le Centre parisien, lui, va connaître des hauts et des bas, mais plus de 30 ans après, le lieu, maintenant installé rue Rambuteau, demeure plus que jamais essentiel.

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