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Exposition : le disco dans la peau

Yannick Barbe

Événement à la Cité de la musique-Philarmonie de Paris : l’expo « Disco, I’m coming out » rend un flamboyant hommage à ce courant musical qui a tant compté pour les minorités. Son conseiller scientifique, notre confrère Patrick Thévenin, nous en dit plus.

En 2019, La Philharmonie de Paris proposait l’expo Electro avec une scénographie ainsi que des archives sonores et visuelles assez démentes. Disco, I’m coming out est-elle sa grande sœur ?

Oui, d’une certaine manière, puisque la house et la techno, souvent regroupées sous l’étiquette « électro », sont les petites sœurs du disco à bien des égards. Cependant, les deux expositions diffèrent dans leur approche. Disco, I’m Coming Out met davantage l’accent sur la dimension politique, militante et sociale. Ce choix est logique : on est au début des années 1970, une période marquée par les restes de l’idéologie hippie (comme on peut le voir chez David Mancuso et ses soirées Loft). C’est aussi l’époque de la libération sexuelle, de l’émancipation gay, de la vague féministe et des luttes pour les droits civiques, qui s’entrelacent. Sans oublier la scénographie radicalement différente : plus immersive, lumineuse, colorée et festive, en contraste avec celle d’électro, qui était brute et industrielle.

Le grand public ne retient souvent du disco que Saturday Night Fever, les paillettes et les pantalons pattes d’eph’, autrement dit son apogée commerciale et mainstream. Or, l’expo veut aller à rebours de ces clichés. De quelle manière ?

On ne va pas vraiment à rebours des clichés associés au disco, car ils font aussi partie de son charme, et nous les évoquons bien sûr. On dévoile une autre facette du disco, plus artistique, activiste, libertaire, émancipatrice et queer. À travers le choix des œuvres et des documents qui ouvrent de nouvelles perspectives sur le genre, la présence d’artistes contemporains qui travaillent sur cette période et explorent ce que j’appelle la « persistance disco », et l’ambition de l’expo – ainsi que du catalogue – de couvrir le disco dans sa globalité. Nous abordons ainsi des thématiques allant des luttes minoritaires aux paillettes, de la mode à l’architecture, de la naissance du DJ tel qu’on le connaît aujourd’hui à l’épidémie de sida du début des années 1980, qui marque la fin de cette période festive.

L’expo est sous-titrée «  I’m coming out  ». Diana Ross, Chic, hymne gay : tout est dit !

Pour la petite histoire, Nile Rodgers, de Chic, a eu l’idée de la chanson après être allé au GG’s Barnum Room, un club gay, où il avait vu de nombreuses drag-queens performer en Diana Ross. Cela l’a inspiré à mettre en lumière l’icône queer qu’elle représentait. Cependant, l’agent de Diana l’a alarmée, craignant que la chanson ne soit perçue comme une déclaration de coming-out lesbien. La chanson a failli ne jamais voir le jour, et Nile a dû reformuler son approche, expliquant qu’elle évoquait plutôt son « coming-out » en tant que femme noire puissante. Finalement, Diana a adopté la chanson et l’a interprétée à chacun de ses concerts. Le disco naît dans le prolongement des émeutes de Stonewall, en juin 1969, déclenchées par une énième descente de police dans le bar du même nom. À cette époque, les lieux fréquentés par les LGBTQ+ étaient souvent rançonnés par la mafia et persécutés par les forces de l’ordre. Stonewall marque, en quelque sorte, le début de la fin de cette répression, bien que les descentes de police ne cessent pas immédiatement. C’est aussi le point de départ de la Pride, d’une communauté qui commence à revendiquer ses droits, entraînant l’ouverture de nombreux lieux gays – des clubs aux saunas, en passant par les soirées privées. Et dans tous ces endroits, on joue quoi ? Du disco. Cette période est marquée par une envie irrésistible de danser, plus forte que jamais.

Le disco signifie aussi le passage progressif de la danse à deux à la danse individuelle sur le dancefloor. Qu’est-ce que cela signifie ?

Il faut rappeler qu’à l’époque, deux hommes ou deux femmes qui dansent ensemble risquaient de se faire embarquer par la police, et qu’une règle imposait la présence d’une femme pour trois hommes dans les bars et clubs, afin d’éviter que certains lieux ne soient fréquentés uniquement par des hommes. Danser seul, c’est alors une façon de s’affranchir des normes, de s’exprimer et de s’affirmer individuellement sur la piste de danse, tout en inventant de nouvelles formes de fluidité physique. Il n’est donc pas surprenant que le voguing ou le waacking, des danses hautement identitaires, aient émergé pendant les années disco. J’aime particulièrement cette phrase de Tim Lawrence, tirée de son livre culte Love saves the day (récemment traduit en français), qui résume bien l’esprit de cette époque : « ce rituel naissant de la danse a permis aux homosexuels, aux groupes ethniques et aux femmes d’expérimenter une nouvelle façon d’être, articulée autour d’un hédonisme communautaire, d’une libération extatique, d’une façon de s’habiller chic mais fonctionnelle, et d’une communication corporelle plutôt que verbale. »

En quoi le disco préfigure-t-il la house et la techno qui naîtront presque dix ans plus tard ?

Musicalement, j’aurais tendance à penser que la house et la techno sont très différentes du disco. Ces genres se sont construits à la fois dans la continuité du disco, mais aussi, à l’instar du rap, contre lui. Contre l’hyper-commercialisation du disco, et surtout son côté élitiste, incarné par des clubs comme le Studio 54. Dans les débuts de la house et de la techno, il y avait une véritable volonté de démocratiser la musique, de la simplifier, en éliminant un maximum d’effets sonores pour se concentrer sur le groove. Le disco, ce sont des couches de crème chantilly, du concentré de drama-queen, une esthétique du too-much. Ce qui rapproche la house et la techno du disco, c’est davantage la notion de culture club instaurée par le disco. C’est-à-dire le statut de DJ star, le club comme refuge, la communion des corps sur le dancefloor, l’attention au sound-system, les jeux de lumière avec néons, stroboscopes ou lasers, la scénarisation de la nuit, la danse comme échappatoire à sa condition sociale, et les drogues récréatives…

En travaillant sur cette expo, quelles sont les archives qui t’ont le plus fasciné ?

J’ai un immense faible pour la trousse à maquillage de Divine. J’ai fait des pieds et des mains pour qu’on puisse l’inclure dans l’exposition, mais les ayants droit s’en moquent un peu, et c’est surtout trop fragile pour être transporté. Les archives du Saint, le dernier grand club disco new-yorkais avec le Paradise Garage, sont fascinantes. On y trouve des lettres écrites par des habitués, qui racontent comment ils ont rencontré l’amour de leur vie sur la piste de danse, mais parfois aussi comment tel homme a été emporté par le VIH. En consultant les photos de cette période, ce qui m’a surtout frappé, c’est la beauté des gens : de tous âges, tous genres, toutes couleurs. Je ne parle pas ici des canons de beauté classiques, mais plutôt d’une forme de rayonnement, une sorte de solarité, quelque chose d’impalpable. Qu’on retrouve également dans les pornos gays de cette époque, avant que le sida ne vienne tout bouleverser.

Ton premier souvenir de disco ?

Je ne l’ai jamais raconté à personne. Nous habitions en Algérie, j’avais environ dix ans. La fille d’une ancienne Claudette incarnait Claude François pour des spectacles scolaires, et ma sœur faisait partie des quatre Claudettes. Du coup, j’ai répété avec elle dans le salon, Cloclo à fond, pendant des heures, les chorégraphies. Je suis incollable sur celle d’Alexandrie par exemple.

Ton top 3 des tracks disco que tu préfères ?

Ça change tous les jours, mais à l’instant, je dirais Happy Me de Kleeer pour le côté tire-larmes du disco, Danger de Gregg Diamond pour l’audace électronique, et Get Up and Boogie de Freddie James pour l’invitation irrésistible à bouger son cul. n

Disco, I’m coming out, jusqu'au 17 août 2025, à la Cité de la musique, Philarmonie de Paris (Paris 19e).

philarmoniedeparis.fr

Crédits photos : Michael Abramson, Meryl Meisler

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