« Le cœur du film, c’est ce sentiment de violence du collectif face à la singularité de l’individu ».
La Pampa, c’est le nom du circuit de moto-cross de la région de Saumur sur lequel s’entraînent les deux jeunes héros du premier long métrage d’Antoine Chevrollier découvert en mai dernier à la Semaine de la critique à Cannes. Willy (Sayyid El Alami, vu dans Oussekine, série magistrale et précédente réalisation d’Antoine Chevrollier ou encore, récemment dans Leurs enfants après eux des frères Boukherma) et Jojo (Amaury Foucher dont c’est la première apparition à l’écran) sont amis à la vie à la mort et se sont promis de quitter ensemble leur village pour découvrir d’autres cieux. Mais leur relation prendra un tournant nouveau quand Jojo sera contraint de révéler à son frère de sang qu’il est homosexuel et que le village tout entier s’emparera de cette révélation. Le cinéaste s’est inspiré de son histoire, de ce coin de France qu’il connaît bien pour mettre au premier plan ceux dont on ne parle jamais. Il revient pour Strobo sur son parcours et la création de ce premier film sensible et puissant.
Quand on grandit dans une région un peu isolée comme celle que tu décris dans La Pampa, comment devient-on cinéaste ?
Antoine Chevrollier : En fait, moi je suis vraiment entré dans le métier par la fenêtre ! Je viens de Longué-Jumelles, l’endroit où s’est tourné le film. J’ai toujours eu une envie de raconter des histoires, envie de faire des images, et le sentiment qu’il y avait quelque chose à raconter de notre quotidien. Quand je dis notre quotidien c’est le nôtre, celui des ruraux qui sont très peu figurés, très peu représentés à l’écran. J’ai travaillé à l’usine, celle qui est à la fin du film et où travaillait ma mère. Quand je suis monté à Paris, je n’avais pas les moyens de faire des études et j’ai commencé à faire des courts-métrages un peu à l’arrache. J’ai commencé à rencontrer des gens dans le métier et j’ai été catapulté premier assistant de films de Mathieu Demy ou de Claire Burger, Marie Amachoukeli et Samuel Theis, les réalisateurs de Party girl. Puis j’ai réalisé le clip d’un groupe qui s’appelle Bagdad et qui a été remarqué par des professionnels du monde des séries. C’est comme ça que j’ai intégré la saison 1 du Bureau des légendes, avant que ça devienne la grosse série qu’on connaît. J’ai fait quatre saisons du Bureau des légendes. J’ai ensuite travaillé sur Baron noir puis j’ai créé la série Oussekine pour Disney+. En parallèle, j’ai attaqué l’écriture de la Pampa avec Bérénice Bocquillon et Faïza Guene.
C’est une histoire que tu portais depuis longtemps ?
Oui et tout a été guidé dans un premier temps par des sensations de mon enfance, de mon adolescence, mais aussi par ce que je pouvais en retrouver à travers ma nièce, ma famille qui vit encore là-bas et quelque chose me semblait encore très contemporain. Tout cela était presque de l’ordre de l’inconscient et a pris forme avec l’aide de mes co-scénaristes. Le cœur du film, c’est ce sentiment de violence du collectif face à la singularité de l’individu, quelle qu’elle soit. Ce film-là, je l’avais en moi depuis des années, mais c’est comme si je me l’étais un peu interdit, je ne m’étais pas autorisé à y penser pour plusieurs raisons dont, notamment, un vrai complexe de classe. J’avais le sentiment que je n’avais pas le droit de raconter ces histoires et puis j’avais peur de tomber dans les clichés du « coming of age ». J’ai réussi, je crois, à tordre un tout petit peu toutes ces choses pour créer un récit qui, manifestement, on l’a vu dans les projections en avant-première un peu partout, semblait indispensable et pas seulement pour moi !
Tu parlais des ruraux qui ne sont presque jamais représentés au cinéma mais l’homosexualité dans les milieux populaires et elle aussi quasiment absente des écrans. C’était important pour toi que le personnage de Jojo soit au centre de l’intrigue et qu’on le regarde enfin ?
Oui, tout à fait. Même si Alain Guiraudie travaille en filigrane cette question-là depuis des années. J’ai découvert récemment l’association Rura qui travaille sur les inégalités qui touchent la jeunesse rurale, et ils me disaient qu’aucune étude sociologique n’existe sur l’homosexualité dans les zones rurales. Rien. Ils commencent à le faire là depuis quelques mois, et ils se rendent compte que l’homophobie rurale est vécue comme un fléau. On le savait avec l’histoire de Lucas, on le savait plus ou moins par les choses qu’on entendait à droite à gauche, mais on se rend compte qu’il y a un vrai monde entre ce qu’on entend, ce qu’on peut traverser, ce qu’on peut vivre dans les zones plus urbaines et les problématiques qui sont présentes dans ces territoires-là. Ils sont abandonnés politiquement, socialement et culturellement. Il y a tout à faire sur la violence que peuvent subir les jeunes filles et les jeunes hommes homosexuels en zone rurale.
Qu’est-ce qui était fondamental pour toi dans la relation entre tes deux héros, cette amitié indéfectible et la réaction de Willy au coming out de Jojo ?
J’avais le sentiment que ça faisait longtemps que je n’avais pas vu dans un film une amitié telle que moi je les avais vécues ou telle que je les vis encore aujourd’hui. Une amitié, à mes yeux, c’est traversé de silences qui ne sont absolument pas embarrassants, c’est traversé de peau et de corps qui se touchent. J’avais envie de raconter une amitié comme ça, représentée en creux, pas explicite, qui se passe à travers les regards, la manière dont on enlace son ami quand on est sur une moto, la façon dont on accepte son silence. On a beaucoup travaillé ça avec Amaury et Saïd. Au-delà d’être de très grands comédiens, ils se sont trouvés à l’endroit de la vie, à l’endroit du réel.
Le sujet, c’est bien sûr cette ruralité, cette espèce d’invisibilisation des destins, mais il y a aussi tout ce qui tourne autour de la masculinité. On parle beaucoup pour les femmes des injonctions, mais on en parle assez peu pour les hommes, et c’est aussi très fort, très violent. Pour les femmes, c’est plus violent mais les hommes qui ont une sensibilité différente dans ce genre de territoire, ce n’est évidemment pas accepté.
Le seul moyen de pouvoir survivre, d’être accepté, c’est de pouvoir adopter des codes souvent hyper testostéronés, hyper virilistes, mais on sent bien que ça n’est pas à nous, et qu’on est en train de falsifier un peu notre identité.
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Amaury Foucher, portait de la révélation de la Pampa
Né à Tours mais arrivé à dans le 15ème arrondissement de Paris encore bébé, Amaury Foucher connait ses premiers émois cinéphiles devant la saga du Seigneur des anneaux qu’il visionne « des centaines de fois ». Il raconte : « J’ai toujours adoré regarder des films, j’ai toujours adoré découvrir d’autres univers, d’autres vécus, d’autres mondes en fait ». Sa première expérience d’acteur, il la vit à 7 ans au catéchisme. Pour incarner Jonas le prophète, il mémorise 40 pages de texte et ses premiers applaudissements viendront confirmer son désir profond d’être acteur : « Je savais que j’avais envie de faire ça toute ma vie mais, en grandissant, même si j’étais à Paris, ce rêve me paraissait de plus en plus inaccessible parce que je pensais que fallait connaître des gens ou être quasiment né dans la grande famille du cinéma français ! ». Après quelques années de droit, il file en école de théâtre mais n’y reste que 6 mois, enchaîne les petits boulots et quelques expériences sur des courts-métrages avant de tenter son premier gros casting, celui de La Pampa pour le rôle de Jojo. « Entrer dans la famille de cinéma d’Antoine Chevrollier (le réalisateur de La Pampa, NDLR), je pense que c’est la façon la plus saine et forte qui soit d’intégrer celle du cinéma français. Et commencer avec une histoire qui raconte aussi fortement des existences qui sont malheureusement encore trop invisibilisées et presque abandonnées, c’est important ! ».
Les questionnements qui nourrissent le film autour des injonctions faites aux hommes ont toujours résonné en lui : « j’ai un rapport à la masculinité qui est assez particulier, nous explique-t-il, parce que je suis un peu un cliché. J’ai toujours été très proche des femmes. J’ai été éduqué majoritairement par ma mère et ma sœur et j’ai toujours plutôt eu des amitiés féminines. Il y a eu quelque chose de l’ordre d’un voyage initiatique dans la masculinité à travers le personnage de Jojo, dans son rapport au groupe, dans son côté un peu leader, quelque chose que je n’avais jamais vraiment eu dans mon existence et que j’ai trouvé très agréable ». Comme son personnage de Jojo, il a lui aussi connu les affres de vivre dans le secret : « j’ai passé une grosse partie de ma vie à mener deux vies sans que mes amis ou ma famille soient au courant de quoi que ce soit ». Amaury Foucher évoque avec humilité cette première expérience d’acteur, « je me suis juste laissé porter par les grands acteurs et actrices avec lesquels j’ai travaillé » minimise-t-il et précisant toutefois qu’il est bien décidé à ne rien lâcher. « Il faut que je fasse mes preuves, que je montre que cela n’était pas juste un coup de chance, que c’est vraiment quelque chose qui me passionne et dont j’ai envie. » Lui qui était plus client de cinéma américain et qui voue une passion à Xavier Dolan, vient tout juste de découvrir (et de se passionner) pour le cinéma de Jacques Demy et se verrait bien tourner avec des cinéastes françaises comme Catherine Corsini ou Céline Sciamma mais il a bien décidé de profiter du bonheur dans lequel il baigne avec sa bande de la Pampa : « je dois continuer à vivre et je ne dois pas attendre que ça marche pour continuer à être heureux ».