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Stéphane Ly-Cuong: "je trouve que l'humour gay est souvent encore plus incarné dans les personnages féminins"

Xavier Héraud

Comédien, scénariste et réalisateur, Stéphane Ly-Cuong a mis 25 ans à faire son premier long-métrage, Dans la cuisine des Nguyen. Une petite merveille qui oscille entre légèreté, humour camp et drame familial. 

Un ami de la famille, qui lit les lignes de la main, lui a dit il y a bien longtemps qu’il connaîtrait le succès, mais tardivement. La prédiction est en passe de se réaliser pour Stéphane Ly-Cuong. A l’aube de la cinquantaine, le parisien se retrouve sur tous les fronts, comme acteur (un petit rôle dans Emilia Perez), comme co-scénariste du film Hiver à Sokcho, et comme scénariste-réalisateur, avec son premier long-métrage, Dans la cuisine des Nguyen, mi-comédie musicale, mi drame-familial, qui sort le 5 mars. 

Stéphane Ly-Cuong est né dans les Yvelines, de parents Vietnamiens, qui ont fui leur pays en proie à la guerre au début des années 60. Une adolescence sans histoire, où il développe une sensibilité artistique. « Je m'intéressais beaucoup au cinéma, enfin à tout ce qui était un peu du domaine du rêve, du spectacle, des chansons, des costumes, raconte-t-il devant un thé au jasmin dans un café de la place de Clichy. C'est pendant cette période-là, quand mes sœurs m'ont amené au ciné voir Mary Poppins, que je regardais Peau d’Ane à la télé. Je crois que c'est toutes ces influences et références-là qui m'ont nourri et qui m'ont amené vers le cinéma et entre autres la comédie musicale.»

Après des études de cinéma à Paris VIII, il réalise deux court-métrages, dont Paradisco, qui évoque les morts du sida. Mais il peine à passer au long-métrage. Faisant un peu de journalisme, notamment pour le groupe Illico aux côtés de Didier Roth-Bettoni, il rejoint l’équipe du site Regard en coulisse, consacré à l’actualité de la comédie musicale. Il en devient le rédacteur en chef. C’est là qu’il crée, au début des années 2000, le personnage d’Yvonne Nguyen, une chroniqueuse fictive qui aborde l’actualité du théâtre musical avec un œil volontiers caustique et un humour camp à toute épreuve. Lorsqu’on lui confie une carte blanche à la Cartoucherie pour présenter une sélection d’extraits de spectacles de son choix, il a l’idée de donner vie à ce personnage. Yvonne, incarnée par une comédienne, officie alors comme maîtresse de cérémonie. Une réussite, puisqu’on lui conseille ensuite de monter un spectacle. ça devient la comédie musicale Cabaret Jaune Citron, qui raconte l’histoire d’une jeune femme aux parents vietnamiens qui rêve de Broadway. 

Ce personnage lui permet d’explorer sa double culture franco-vietnamienne: « Je me suis toujours, évidemment, questionné sur mes deux cultures. Je ne l'ai pas forcément vécu de façon conflictuelle. Je n'ai pas renié mes origines, je ne les ai pas ignorées, mais évidemment je les ai questionnées avant de les accepter et de les embrasser. Mais je me rends compte que cette question est présente parfois de façon beaucoup plus douloureuse chez d'autres personnes de mon entourage. Et j'avais envie de m'inspirer de ça, sans aller dans le drame ou la douleur, mais plutôt dans l'humour et l'humour qu'on peut trouver dans ces paradoxes et ces contradictions. » 

A côté de Cabaret Jaune Citron, il écrit et met en scène divers spectacles musicaux dans des petites salles. Jusqu’à ce que l’envie de cinéma repointe le bout de son nez: « Au bout d'un certain temps, il y a une dizaine d'années, le cinéma me manquait. Je me suis dit c'est quand même mon objectif, c'est ça que j'ai étudié, c'est ça que je vais faire. Donc j'ai refait deux courts-métrages, puis développé mon projet de long qui sort aujourd’hui. » Pour celui-ci, il a justement repris le personnage d’Yvonne, avec la même interprète que dans Cabaret Jaune Citron, Clotilde Chevalier. Dans le film (voir photo ci-dessous), Yvonne Nguyen qui approche la quarantaine, se retrouve confrontée à la difficulté de trouver des rôles en raison des stéréotypes liés aux personnes originaires des pays asiatiques. 

Ces préjugés sont incarnés dans le personnage joué par Thomas Jolly, devenu depuis le tournage le metteur en scène superstar des cérémonies des Jeux Olympiques et Paralympiques. Dans son autobiographie, La peau hors du placard, l’auteur Jean-Baptiste Phou [lire notre portrait] a longuement décrit ce système. Stéphane Ly-Cuong abonde dans le même sens : « Beaucoup de situations sont nourries de choses réelles. Après, évidemment, je pousse un peu le curseur parce qu'on est dans une comédie, donc je m'en amuse, mais c'est très, très fréquent. Et encore aujourd'hui, il m'arrive de passer des castings en tant que comédien. C’est en train de changer, mais pendant longtemps, on a été assignés à des types de rôles, patron de resto, mafieux, patron de resto-mafieux… On peut vous demander au débotté de prendre un accent « asiatique » — c'est très large — ou d'improviser dans la langue qu'on suppose que vous parlez, celle de vos parents, qu'on ne maîtrise pas toujours, mais personne n'est là pour vérifier si on parle bien. Donc toutes ces choses-là, qui sont une sorte de racisme systémique, sont bien ancrées. Ce n’est pas méchant en soi, mais toute forme de racisme, de toute façon désagréable et tout cliché, est une forme de racisme. Parler ou poser des questions sur « notre pays », présumant que le pays c’est le Vietnam, c'est d'une certaine manière nier le fait qu'on est français, même si c'est parfois juste de la maladresse. »

Si le personnage principal du film est une jeune femme hétéro, l’humour gay est omniprésent : « Je trouve que l'humour gay est souvent encore plus incarné dans les personnages féminins. Quand tu penses aux personnages d'Almodovar, ou à Absolutely Fabulous, ou les Golden Girls, je pense que les scénaristes gays s'éclatent plus avec les personnages féminins ».

Il a malgré tout envie à l’avenir d'explorer des personnages gays plus « frontalement », en se penchant en particulier sur l’époque où le sida a causé ses premiers ravages chez les gays : « On a commencé à parler du sida avant que je commence ma sexualité et c'est une période que j'ai envie d'explorer du point de vue de la communauté gay, peut-être d'un point de vue de quelqu'un de légèrement plus âgé que moi pour qu'on ait un peu cette entrée de plein fouet. Ce sont des thématiques qui m'intéressent en tout cas. » 

Mais il faudra encore attendre un peu car pour son prochain projet, le réalisateur va continuer à s’immerger dans la culture vietnamienne, à partir d’un autre thème récurrent dans son travail, celui de la mort d’un père. « Une amie comédienne qui a joué dans Allée des jasmins m'a dit « quand vas-tu arrêter de tuer les pères? », explique-t-il. J’ai répondu « pas tout de suite » parce que le prochain démarre avec l'enterrement d'un père, mais je pense qu'après, je vais passer à autre chose. Le réalisateur a perdu son père à 21 ans d’un cancer, alors qu’il faisait des études de cinéma. Ce deuil l’a « forcément marqué d’une manière ou d’une autre ». « Même si, ajoute-t-il, je n'ai pas eu le sentiment à ce moment-là d'être submergé de douleur. Peut-être que mon deuil s'est fait de façon différente et de façon beaucoup plus lente à travers mes films. » Il indique également que dans la culture Vietnamienne, on vit avec ses morts, et que le souvenir des 30 ans de guerre avec les Américains marque encore la génération de ses parents. Et donc indirectement, la génération qui suit. Difficile d'y échapper, donc. 

Sur un plan plus personnel, il confirme avoir comme de nombreux gays asiatiques rencontré préjugés et fétichisme au sein de la communauté gay: « Je suis complètement d'accord avec ce que Jean-Baptiste raconte [dans La peau hors du placard]. Je ne les ai pas forcément vécues de la même manière, mais je les ai quand même forcément vécues à un niveau ou à un autre. » Il reconnaît que « les choses commencent à bouger », « mais on pourrait imaginer que dans une communauté, entre guillemets, on soit plus ouvert, ce n'est pas toujours le cas. Ça peut l'être, évidemment. »

Au moment où nous le rencontrons Stéphane Ly-Cuong s’investit pleinement pour la promo de Dans la cuisine des Nguyen, en espérant que le film sera vu un maximum en France (on ne connaît le nombre de copies qu’une semaine à l’avance) et pourra être montré au Vietnam, même si lui dit-on le public Vietnamien n’apprécie que les films locaux ou les blockbusters étrangers. 

Parmi les comédies musicales qui l’ont marqué, il cite Fun Home, une adaptation de la bd d’Alison Bechdel ou Hedwig and the angry inch (qui tourne actuellement en France), « des œuvres qui ont essayé de faire bouger les lignes. » Qui sait, Dans la cuisine des Nguyen, fera peut-être bouger quelques lignes aussi?

Photo Stéphane Ly-Cuong : Xavier Héraud

Photo Dans la cuisine des Nguyen : Respiro Productions

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