Avec sa campagne « Sauvons nos enfants », la chanteuse Anita Bryant a mené une croisade de grande ampleur contre les homosexuels aux Etats-Unis dans les années 70. Elle est morte en décembre dernier.
Elle fut l’un des visages, si ce n’est LE visage, de la haine homophobe aux Etats-Unis dans les années 70. La chanteuse Anita Bryant est morte le 16 décembre 2024 à l’âge de 84 ans. Née dans l’Etat d’Oklahoma en 1940, elle se fait d’abord remarquer comme reine de beauté (en gagnant le titre de Miss Oklahoma), puis comme chanteuse. Chrétienne évangélique, elle se radicalise au cours des années 70 et lance en 1977 une campagne pour abroger un texte destiné à empêcher la discrimination au travail et pour le logement à l’égard des gays et des lesbiennes dans le comté de Dade en Floride. Un Etat qu’elle connaît bien, puisqu’elle a un contrat publicitaire pour vanter les oranges locales dans tous les Etats-Unis.
Dans le cadre de sa campagne intitulée Sauvons nos enfants (Save our children), elle multiplie les déclarations violentes dans les médias. Son angle d’attaque : faire passer les homos pour des pédophiles : « les homosexuels ne peuvent pas se reproduire, donc ils doivent recruter », clame ainsi sa campagne. Et ça marche. L’ordonnance est abrogée lors d’un vote populaire. Ce succès lui permet de dépasser les frontières du « Sunshine State » et de s’investir contre des mesures similaires dans tout le pays. Si dans une certaine mesure, elle réussit à mobiliser autour d’elle, elle galvanise aussi le camp d’en face, qui s’organise de plus en plus depuis le début des années 70. Divers collectifs organisent ainsi un boycott des jus d’oranges de Floride dans les bars du pays. Ils ont le soutien de célébrités comme Barbra Streisand ou des animateurs télé Johnny Carson et Carol Burnett qui n’hésitent pas à tourner la reine des oranges en ridicule.
Entartée par un militant gay
Le 14 octobre 1977, alors qu’elle donne une interview à la télé où elle déclare « aimer les homosexuels mais détester leur péché », elle est entartée par le militant gay Tom Higgins. Tentant de garder la face, elle répond « au moins c’est une tarte aux fruits » — jeu de mots avec « fruit » en anglais qui signifie aussi « pédé », avant de fondre en larmes. Mais cela ne met pas un terme à son activisme.
Et elle inquiète d’ailleurs jusque de l’autre côté de l’Atlantique. Lors de la première marche homosexuelle de 1977, orga-nisée par des militantes du MLF, « Sauvons nos enfants » fait partie des sujets d’inquiétude et de protestation. « La motivation du MLF, c'était de dire que cette campagne ne visait pas seulement les homosexuels mais menaçait aussi les femmes », explique Marie-Jo Bonnet dans un article de France Info.
En Californie, l’action d'Anita Bryant inspire la Briggs initiative, un texte de loi (nommé d’après le sénateur John Briggs) soumis à référendum qui vise à interdire aux gays et aux lesbiennes d’enseigner. Harvey Milk, alors conseiller municipal de San Francisco, s’engage corps et âme contre cette loi et le non l’emporte. Une défaite majeure, qui marque le déclin de l’influence de la chanteuse. Au final, Anita Bryant paie cher son homophobie, tant sur le plan personnel que sur le plan de sa carrière. Elle divorce en 1980, son contrat publicitaire pour les oranges de Floride n’est pas renouvelé et elle ne parviendra jamais à renouer avec le succès en tant que chanteuse. Elle n’a cependant jamais regretté ses prises de position, même lorsque sa petite fille lui a fait son coming-out lesbien par téléphone.