Harcelé au collège en raison de son homosexualité, Lucas, 13 ans, a mis fin à ses jours en janvier 2023 près d’Epinal. Deux ans après, sa mère, Séverine Vermard, raconte dans un livre le traumatisme de cette disparition et le combat qu’elle mène désormais contre le harcèlement à l’école. Rencontre.
Strobo Mag : Tout d'abord, qu'est-ce que ça vous a fait de vous replonger dans cette histoire, ces souvenirs, moins de deux ans après la mort de Lucas ?
Séverine Vermard : L'écriture du livre m'a aidée à avancer, à comprendre et à accepter certaines choses, certaines erreurs de ma part aussi. Mais ce livre m'a servi clairement de thérapie. J'en avais besoin. Toucher les affaires de Lucas, déballer ses affaires… sans ce livre, je ne l’aurais pas fait. Donc ça m'a énormément aidée à avancer, un pas après l'autre. Mais un pas après l'autre, je franchis des montagnes et je fonce, donc c'est libérateur en un sens, parce que j'étais quelqu'un de renfermée à la base et je n'aurais jamais pensé arriver à faire tout ça.
De Lucas, on connaît principalement une photo, celle qui figure sur la couverture de votre livre, et les circonstances de son décès. Qu'est-ce que vous voudriez que le public sache de lui, retienne de lui ?
Un garçon souriant, solaire, plein de joie de vivre, qui croquait la vie à pleines dents, avec des projets, de l'ambition, très empathique, très à l'écoute des gens. Une personne comme on rêve tous d'avoir dans notre vie. Des yeux qui brillent. Toujours là pour aider les autres.
L’enquête administrative sur le harcèlement que subissait Lucas à son collège vient enfin d’être terminée. Avez-vous pu la consulter ?
On a fait la demande, on attend, donc j'espère qu'on va pouvoir l'obtenir assez rapidement, parce que j'ai besoin de savoir.
De ce qu’on sait des conclusions de cette enquête, c’est qu’il y a bien eu harcèlement, mais que l’homophobie ne semble pas mentionnée…
Non, il a été harcelé, on ne sait pas par combien d'élèves ni par qui, on ne connaît pas le contexte, on ne sait pas le motif du harcèlement, mais il a bien été harcelé. D'où l'importance de pouvoir lire ce rapport.
Dans votre livre, vous racontez un épisode, où alors que Gabriel Attal faisait une visite dans les Vosges, vous avez insisté pour le rencontrer et lui demander des comptes sur l’ouverture de cette enquête. C’est seulement après que vous avez été reçue par la ministre de l’Education Nicole Belloubet et que l’enquête a été ouverte. Sans votre intervention l’enquête aurait-elle vu le jour ?
Je pense qu’elle n'aurait jamais vu le jour. On me l'a promise à plusieurs reprises dans les médias, les yeux dans les yeux. Si je n’étais pas venue l'interpeller, si je n'avais pas fait le forcing, je ne l'aurais jamais eue cette enquête. Donc oui j'ai bien fait de faire le forcing, parce que j'ai obtenu ce qu'on m'a promis et ce qui manquait. C'est la pièce qui manquait au dossier donc heureusement que j'ai pris mon courage à deux mains et j'y ai été, j'ai foncé. Et si c’était à refaire, je le referais mais je le referais bien plus tôt. Cette fois, je monterais directement sur Paris. Mais je l'ai eue et j'en suis fière.
Pour vous, en quoi cette enquête est-elle importante ?
Elle est importante parce que c'est là qu'on détermine le harcèlement, les failles du système scolaire, du moins de l’établissement où il était scolarisé. Donc, ce qui n'a pas été fait, ce qui a été fait. C’est-à-dire rien. Donc, voilà, vraiment montrer qu'ils sont incompétents. C'est de l'incompétence. Je leur confie mon fils pour la journée. Ils sont censés le protéger. L'éduquer, le protéger, et lui apprendre des valeurs. La scolarité basique. Mais ils n'ont pas su le protéger de ses autres camarades alors qu'ils étaient au courant. Rien n’a été fait de leur côté. Pas de convocation des parents, pas de sanctions, pas de convocation de Lucas ni de moi. Pourquoi? J'espère que dans ce rapport, c'est noté.
D'ailleurs, quand vous avez rencontré Gabriel Attal, il était Premier ministre, mais il était aussi le ministre de l'Éducation sortant. Il n’a pas lancé d’enquête administrative à ce moment-là non plus. Est-ce que vous lui avez demandé des comptes par rapport à ça ?
Oui je lui ai demandé pourquoi il avait continué à dire qu'il y aurait une enquête administrative et pourquoi elle n'a pas été menée. Et j’ai été un peu choquée et interloquée parce qu’il m'a dit qu'en fait il ne voulait pas dénigrer les propos de monsieur Pap Ndiaye [ ministre de l’Education au moment de la mort de Lucas, qui s’était engagé à ouvrir une enquête administrative ] pour ne pas le décrédibiliser. Je lui ai répondu que nous, ça nous a donné de l'espoir. On s'accrochait à cette enquête, donc ça nous a détruit de savoir que finalement il n'y avait rien. Il y a une famille endeuillée derrière, il y a une famille qui est détruite, qui est meurtrie, il y a un enfant qui a disparu. Donc non, on ne fait pas espérer des familles comme ça, c'est ignoble. Même s'il s’est montré très compréhensif face à mes propos, et devant ce que je ressentais, il faut dire les choses : c'est ignoble de faire espérer une famille en deuil.
Il a lancé récemment une fondation contre le harcèlement qu'est-ce que ça vous inspire ?
Je ne doute pas de son combat contre le harcèlement. C'est un beau projet, c'est une belle initiative avec une super maman qui se bat aussi. Mais on aurait pu en faire partie, on pourrait travailler ensemble. Plus on est, plus on arrivera à vaincre ce fléau du harcèlement qui détruit des vies et des familles.
Il y a une procédure judiciaire qui est toujours en cours contre les élèves qui ont harcelé Lucas. Ils ont été condamnés en première instance et relaxés en appel. Et vous vous êtes pourvue en Cassation. Qu’attendez-vous de cette ultime décision ?
On attend. Si ça prend 10 ans, ça prendra 10 ans mais au moins les choses seront bien faites. Ça ne sera pas bâclé comme précédemment.
Vous avez l'impression que les procès ont été bâclés ?
L'enquête pénale a été bâclée. Parce que l'acharnement médiatique a fait que ça s'est emballé et qu'il a fallu faire vite les choses. Donc, ça a été très rapide, trop rapide. Quand je vois qu'il y a des parents qui attendent encore les procès, nous ça a été bâclé.
Dans votre livre vous évoquez d’autres suicides de jeunes harcelé.es je pense notamment à Dinah Gonthier (morte à 14 ans en 2021), etc. Avez-vous été en contact avec des parents et des familles qui ont vécu la même chose que vous ?
J'ai rencontré la maman de Dinah et son frère. On n'a pas les mots pour se parler en fait parce que notre peine est tellement immense à tous… Mais on se comprend. Et on est dans la même démarche, dans le même combat. Nous ne sommes malheureusement pas la seule famille à avoir vécu ça, il y en a eu d’autres après Lucas. J'espère qu'on sera une des dernières. La maman de Nicolas [mort à 15 ans à Poissy en septembre 2023) m'a écrit aussi, donc on va prendre contact. J'ai le contact de la maman de Marion [morte à 13 ans en 2013]. Tous ensemble on va y arriver. Il n'y a pas de raison qu’on n’y arrive pas. On va tout faire pour que ça diminue et que ça s'arrête au fil du temps.
La situation vécue par votre enfant a-t-elle été l’occasion pour vous de découvrir l’ampleur du harcèlement à l’école, en particulier vis-à-vis des personnes LGBT ?
Non, le harcèlement a toujours existé. Moi-même, j'ai été victime de harcèlement à l'école. Mais ce n'était pas aussi violent. On ne se sentait pas aussi fort. Parce que dès que nos parents mettaient le nez dedans, ça se réglait tout de suite. Là, non, c'est pris à la légère maintenant, parce qu'on dit que c'est des « chamailleries », alors que du moment où c'est répété deux fois et que ça a blessé la personne, ça s'appelle du harcèlement. Il faut que les gens arrivent à faire la différence. Donc ça prend de plus en plus d'ampleur parce que forcément on s’affirme plus, on a moins peur de dire qui on est. Donc ça déplaît. Et il y a les réseaux sociaux aussi. Il y a des photos qui peuvent être diffusées, des paroles qui peuvent être dites. Par chance, Lucas ne les avait plus. Donc c'est déjà une chance énorme. Mais les réseaux sociaux font énormément de dégâts aussi.
De cette expérience, vous avez créé une association. Lunah. Pouvez-vous nous en parler ?
Lunah, c'est encore un bébé association qu'on veut faire connaître de tous et puis avec laquelle on veut vaincre ce harcèlement. Lunah, ça veut dire Liberté, Unité, Non au harcèlement. Elle a été créée depuis le 13 septembre 2023, donc quelques mois après le décès de Lucas. Font partie de l'association une avocate, Catherine Faivre, une psychologue, Dominique Robin-Léopold, spécialiste de l’enfance, qui sont très bienveillantes. On a les clés, on a les astuces pour aider les personnes. On est à l'écoute, on est toujours présentes s'il y a un problème, on intervient dans les écoles, dans les centres sociaux, dans les entreprises. Il n'y a pas que le harcèlement scolaire, il y a le harcèlement de rue, il y a le harcèlement au travail, dans la famille aussi, ça existe. Donc tout type de harcèlement, on le combat, on veut le combattre et on ne laissera pas tomber. On a aidé quelques enfants déjà. On a fait quelques interventions aussi. Leur témoignage est touchant parce qu'on a réussi à en faire parler alors qu'ils ne voulaient pas parler. Ils ont peur des représailles, donc on est présent et on sera toujours présent. On est présent sur les réseaux sociaux, on est présent aussi sur notre site internet. On a besoin d'adhérents, on a besoin de personnes pour nous accompagner et plus on sera et plus on y arrivera.
Vous allez intervenir devant des classes aussi ?
On a fait la demande d'agrément cette semaine. On pense avoir une réponse favorable assez rapidement.
Dans votre livre vous écrivez que la vie d’une mère qui a perdu son enfant est remplie de « peut-être » ou de « si », ces petites choses qui si elles avaient été dites ou faites auraient pu sauver Lucas. Ce livre, cette association, cet engagement, ça apaise ces interrogations permanentes?
Ça n'apaise pas du tout parce que je me sens coupable. Je me sentirais toujours coupable je pense. Peut-être que j'aurais dû faire ci ou ça. Ça tourne dans ma tête en boucle. Donc non les questions sont toujours là, elles seront toujours là, mais aider d'autres personnes ce n’est pas un soulagement mais c'est mon devoir. C'est ce que Lucas aurait aimé faire donc on le fait, on se donne les moyens à 100%. On ne lâche pas. S'il y a des jours plus durs que d'autres, il y a des jours plus durs que d'autres, ce n'est pas grave. Quoi qu'il arrive, je viendrai toujours en aide via l'association ou même personnellement. C'est mon combat.
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Lucas, symbole malgré lui, Séverine Vermard, Harper Collins, 160 p., 18,90€