Le photographe lyonnais sort « Monsieur Vénus », un livre dédié au nu masculin. Des corps éclairés artificiellement, des scènes très travaillées, le style de Cédric Roulliat est immédiatement reconnaissable. Qui se cache derrière ses images ? Réponse avec notre portrait du mois.https://www.cedricroulliat.com/
Une piscine, un soir. Les feuilles des arbres environnants parsèment la surface de l’eau — ambiance Sunset Boulevard, le film de Billy Wilder. Un homme descend les marches du bassin nu, une caméra à l’épaule. Ou un paddock, en pleine nuit : Armando Santos, en slip et bottes noirs, brandit une cravache au-dessus de sa tête. Ces images saisissantes sont extraites de Monsieur Vénus, le nouveau livre que Cédric Roulliat consacre à son travail sur le nu masculin. Il suffit de jeter un œil au travail du photographe pour constater qu’on n’est pas ici dans de la simple photo de mec à poil (ce qui est très bien aussi!). On a donc eu envie de savoir qui se cachait derrière ces images ultra-léchées. Par téléphone, celui qui se décrit un « lyonnais-lyonnais » — né, élevé et toujours basé à Lyon — se raconte avec chaleur et simplicité.
L’anatomie des super-héros
Il livre rapidement la clé de son univers : tout part finalement de sa passion pour les comics américains et les super-héros lorsqu’il est enfant. Nous sommes alors dans les années 70. « C’était complètement fascinant parce qu'il y avait ce truc avec les corps qui me rendait dingue. Les corps qui sont dans du lycra, c'est des corps nus en réalité. Avec ce truc de l'anatomie des super héros. Je pense que j'étais à la fois un geek et en même temps, j'étais très troublé. Tu vois, jeune homo qui ne comprenait pas forcément ce que c'était d'être homo et puis confronté à ces images-là.» Il précise : « J'étais aussi fasciné par les mecs que les nanas. Les filles, elles étaient hyper fortes, elles étaient majestueuses, elles étaient incroyables. »
Celles et ceux qui connaissent un peu l’univers Marvel ne seront pas surpris de lire que Cédric Roulliat adore en particulier les X-Men, dont l’histoire est aujourd’hui considérée comme une métaphore du vécu gay et lesbien. « Les X-Men, ils vivaient cachés, certains avaient des pouvoirs un peu chelous et ils n'étaient pas censés révéler au reste du public le fait qu'ils étaient des mutants. Donc quand tu es un jeune gay, même si tu ne comprends pas forcément à quoi ça fait écho chez toi, il y a vraiment ce truc où c'est un peu tes héros préférés, et ce sont des parias. »
Il se met donc à dessiner et écrire de la bd dans son coin. Il en fait un certain temps avant de se détourner de cet exercice un peu trop solitaire à son goût. Car entre-temps, dans le grenier de son grand-père, il a trouvé un trésor : le matériel de ce dernier, qui faisait beaucoup de photos dans les années 70 : un appareil, plein d’optiques et même un agrandisseur. « J'ai plongé là-dedans, explique-t-il. Je me suis fait une chambre noire. J'ai adoré ça. Du coup, je demandais au début à mes copains de lycée de poser, de créer des personnages. J'adorais les films hollywoodiens, donc j'aimais bien transformer mes copines en femmes fatales ou en fac similés d'actrices hollywoodiennes. »
Une autre influence majeure pour lui, c’est Madonna : « J'ai vraiment assisté à son éclosion, en 83-84, quand elle est arrivée, il y a eu une sorte de révélation. Il faut imaginer un pré-ado en 84 qui voit Madonna, il y a vraiment un choc assez fort. » Et l’interprète de Like a Virgin contribue à son éducation photographique. « A mesure que je grandissais, elle s'entourait de photographes de plus en plus doués. La première fois que j'ai vu des photos d'Helmut Newton, par exemple, je me demande si ce n'étaient pas celles de Madonna. Et puis, elle a fait le bouquin Sex, avec les photos de Steven Meisel. C'était un choc incroyable. » La fin des années 80 et le début des années 90, c’est l’ère d’une presse forte et du règne des photographes star. Il a été marqué par le célèbre Adam et Eve de Pierre et Gilles en couv d’Actuel, que lisent ses parents. Puis par les photos de Guy Bourdin, celles de Mondino (qui a beaucoup travaillé avec Madonna, notamment) ou Jean-Paul Goude.
Figurines
Il apprend la photo en autodidacte. Ce qu’il ne conseille pas, au passage! Il éclaire d’abord ses scènes avec des lampes de bureau, avant de trouver peu à peu son style et de se professionnaliser. Quand on l’interroge sur son usage systématique du flash, quand d’autres ne jurent que par la lumière naturelle, il répond que ce qui l’intéresse, « c’est de rendre les modèles comme des statues ou des playmobils, ça dépend de la vision qu'on en a, mais en résumé c'est un peu des figurines. » Il ajoute : « J'aime bien le côté marmoréen. Les peaux très blanches avec un flash, tout de suite on dirait une statue. J'aime bien ça. Les peaux noires aussi quand tu les éclaires ça crée un truc statuesque ». Il résume son esprit en quelques mots : « Ça ne m'intéresse pas trop de témoigner de la réalité. L'idée, c'est plutôt de créer des personnages qui transfigurent la réalité. Donc le flash participe de ça. C'est un artifice. »
Parce que la photo ne suffit pas (souvent) à nourrir son homme, Cédric Roulliat travaille aussi comme linguiste. Mais en termes de revenus, il est aujourd’hui à « moitié-moitié » entre les deux activités. A l’occasion, il écrit aussi et met en scène ses propres pièces de théâtre. Quatre d’entre elles ont été montées. Là aussi, il est toujours question de fantasme et d’artifices. La première s’intitulait Ultra-Girl contre Schopenhauer. Encore une histoire de super-héroïne. On ne se refait pas !
La boucle est bouclée
Monsieur Vénus, qu’il a financé grâce à un financement participatif, est son troisième livre. Le titre vient d’un roman sulfureux du même nom, publié par l’écrivaine Rachilde au XIXème, dont la chanteuse Juliette a également tiré une chanson, sur son album Irrésistible. L’ouvrage témoigne d’une tendance qu’il a constaté dans son travail dernièrement : comme il travaille bénévolement, les shoots de nu masculin ont pris le pas ces derniers temps sur les shoots féminins, où il faut trouver tenues, maquillages, perruques, etc. Et l’esprit de ces shoots, qui sont là pour « titiller » ou « être au service d’une beauté » diffère un peu de ce qu’il fait habituellement. D’où l’envie de les compiler dans un même espace.
L’occasion de l’interroger sur le physique de ses modèles, qui ont soit des corps des très musclés, soit des corps de danseurs. « La boucle est bouclée avec les super héros, indique-t-il. Il y a vraiment quelque chose pour moi détaché de toute réalité. Parce que par ailleurs, ce n'est pas forcément des mecs ultra-musclés que je trouve, on va dire, les plus foudroyants de beauté. Mais en revanche, il y a une fascination sur le fait d'un corps qui serait transformé, qui en effet ne correspond plus du tout à un corps naturel. » Qu’il photographie les hommes comme des super-héros, ou les femmes comme des stars de films muets, il s’agit, résume-t-il, « de les relier non pas à mon expérience personnelle, mais plutôt aux images qui m'ont fasciné quand j'étais gamin. »
Monsieur Vénus, Cédric Roulliat, 160 pages, 50 €