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Pourquoi les gays pratiquent le chemsex ?

Patrick Thévenin

Après le test « êtes-vous dépendant au chemsex », la liste des ressources utiles et nécessaires pour se faire aider, la description du phénomène sous ses aspects autant épidémiologiques, sociétaux que communautaires et les différentes substances utilisées et les risques sur la santé liés à la pratique du chemsex, nous abordons les raisons qui peuvent conduire au chemsex.

La recherche d’une sexualité plus intense et de pratiques plus « hard » , un besoin de sociabilisation, la désinhibition physique et morale, une homophobie intériorisée, l’amélioration de ses rapports de couple… les raisons de pratiquer le chemsex sont nombreuses. Et d’autant plus complexes qu’elles mélangent intimité, plaisirs, jouissance, identité, traumatismes et sociabilité. Chaque parcours vers le chemsex est unique, et dépend de facteurs autant psychologiques que physiques, personnels que communautaires.

Ce qui rend l’arrêt du chemsex complexe, c’est le risque de faire entrer celui qui s’y adonne dans un mode d’excitation exogène, c’est-à-dire que le désir et le plaisir sont intimement corrélés à la prise de substances. Sans garder un équilibre entre sexe sans et avec substances, celui qui pratique le chemsex, peut se couper, voire être indifférent, à toute source d’excitation interne, au désir de son ou de ses partenaires. Comme il peut considérer sa capacité à séduire et draguer sans substances comme inexistante.

La recherche de plaisirs et de pratiques sexuelles plus intenses

C’est, sans aucun doute, une des raisons premières de la pratique du chemsex : une recherche accrue de plaisirs et d’excitations. D’autant que la pratique du chemsex associe deux sources de plaisir : celui procuré par les drogues et celui liés aux échanges sexuels. Le chemsex est justement caractérisé par l’absence d’éjaculation, ou la possibilité de la repousser des heures, pour prendre toujours plus de plaisir ou tout simplement rester excité.

L’initiation et/ou la découverte du chemsex est souvent corrélée à la promesse d’une sexualité plus satisfaisante et intense. Beaucoup de gays sont initiés, sans qu’ils se posent de questions sur leur sexualité, parce que certains partenaires leur promettent tout simplement plus de plaisirs.

Les produits utilisés, en rendant les partenaires plus attractifs, en augmentant la libido, en accentuant les sensations, etc.), peuvent conduire à des pratiques sexuelles plus fréquentes, et plus intenses. Ce qui explique leur attrait et leur consommation.

Il s’agit pour beaucoup de pimenter une sexualité considérée comme morne et répétitive. Le chemsex est alors la réponse à un besoin de fantasmes que l’on cherche à découvrir ou qu’on n’ose pas assumer, au désir de booster une libido pas satisfaisante, à avoir plus confiance en soi et, évidemment, à jouir (qu’il y ait éjaculation ou pas) de manière plus intense et prolongée.

De nombreux chemsexeurs témoignent ainsi de sessions sexuelles pouvant s’étendre sur plusieurs heures, voire plusieurs jours, les sensations de fatigue ou d’appétit étant nettement diminuées par les produits utilisés.

Le chemsex peut également, pour certains, être la porte d’entrée à des pratiques plus « hard ». La désinhibition, et la confiance en soi accrue procurées par les produits peut aider à explorer des pratiques comme le fist-fucking, l’utilisation de plugs et de godes, le gang-bang…

Pour d’autres gays, au contraire, la pratique du chemsex témoigne d’une recherche accrue d’intimité et de tendresse, avec un partenaire régulier ou avec son compagnon de vie. Les effets des substances donnant l’illusion d’une connexion intense et inégalée.

L’apparition de produits nouveaux, facilement accessibles et peu chers

Parmi les nombreuses substances consommées lors de la pratique du chemsex, on trouve les nouveaux produits de synthèse (NPS). Plus connus sous la dénomination de cathinones (et appelés dans le langage courant 3 ou 4). Ce sont des substances psychoactives, fabriquées en laboratoire, dont les principaux effets ont été répertoriés dans notre dossier : « chemsex : tout savoir sur les produits utilisés ». Cependant l’apparition régulière de nouvelles substances, aux effets différents, sans compter l’association de différents produits, rend la réduction des risques encore plus complexe.

Leur achat facile, et leur relative accessibilité - via les applis de rencontre, les réseaux sociaux, les messageries (comme Telegram ou WhatsApp) et certains sites internet - peuvent donner à certains consommateurs l’impression de prendre moins de risques en commandant une livraison chez soi à toute heure. Loin des échanges clandestins avec des dealers, les produits sont livrés à une simple adresse postale ou directement chez soi à la manière des livraisons Uber.

Pourtant, selon la législation française, aucun des produits utilisés pour le chemsex n’est légal. Leur achat, leur revente, et leur consommation non plus, et peuvent vous exposer à des condamnations.

Les effets des applications de rencontre géolocalisées

La fréquentation des applis de rencontre (comme Grindr, Tinder, Scruff…) par les gays est souvent considérée comme un facteur d’initiation, ou d’entrée, à la pratique du chemsex car les offres de plans avec substances ou de ventes de produits y sont répandues et décomplexées. En offrant la possibilité d’échanges sexuels faciles, multiples, et surtout immédiats, les applis peuvent induire un certain relâchement dans le contrôle de sa sexualité et les prises de risques sexuelles, ou les mesures préventives (préservatif, PrEP), que la personne s’est fixée. 

Pour certains gays qui pratiquent le chemsex, la présence ou non de drogues lors d’un plan sexuel est devenue un critère déterminant dans le choix de son ou de ses partenaires. Certains partenaires, sans qu’ils en aient clairement conscience, sont ainsi choisis pour leur faculté à offrir, ou se procurer, des chems. Le chemsex devient alors un déterminant dans le triage des partenaires sexuels.

On assiste ainsi à la mise à l’écart des gays qui refusent la prise de substances (une ségrégation qui n’est pas sans faire penser à celles vécues par certains lors de l’apparition du bareback ou des débuts de la PrEP). On voit aussi apparaître de plus en plus de gays refusant de négocier des rapports sexuels avec d’autres hommes pratiquant le chemsex.

Une homophobie intériorisée

La pratique du chemsex peut chez certains gays être une forme de réponse à des problèmes identitaires et la découverte d’une sexualité vécue, enfin, sans culpabilité. La désinhibition permise par les substances permet à certains, confrontés à l’homophobie de la société, de leur famille ou de leur environnement professionnel, d’accepter, enfin et pleinement, leur homosexualité. Leur expérience personnelle de l’homophobie, transformée en stigmate intériorisé, joue sur leur confiance en eux, leur rapport aux autres, leur séduction, ou leur sexualité. Le chemsex peut alors être vécu comme une libération et le chemin vers une sexualité vécue sans honte et sans tabou. Le chemsex facilite alors la libération des fantasmes, mais permet aussi de surpasser la honte liée à une sexualité encore réprimée par la société.

Le chemsex permet aussi parfois de suspendre toutes les représentations hétéronormées de la sexualité et d’assumer des rôles et des pratiques sexuelles considérées comme non « normatives ». Il est aussi souvent utilisé pour faciliter des pratiques qui peuvent être douloureuses et impossibles par manque d’expérience ou à cause d’incidents malheureux (sodomie passive, gagging, fist-fucking…).

Et puis sous chems, la question du statut sérologique ne se pose souvent plus, tout le monde étant supposé être sous PrEP ou sous TasP.

Le besoin de sociabilisation et d’appartenir à un groupe

L’initiation au chemsex peut être liée au désir de faire partie d’un groupe ou d’une communauté, et répondre au besoin de se conformer à un lifestyle normalisé par la culture gay, les milieux fréquentés (sauna, sex-club, partouzes, applis, sites de rencontre…), le visionnage de vidéos pornographiques. Toutes activités qui tendent à valoriser l’intensité de la performance et de l’activité sexuelle, tout en entretenant une certaine pression communautaire.

La pratique du chemsex s’apparente alors à un moyen de s’intégrer à un groupe, de réussir à séduire un partenaire qui n’est pas réceptif à nos avances, voire, parfois, de prendre conscience que sans chems on n’a pas accès aux mêmes critères de beauté chez nos partenaires.

Beaucoup d’usagers placent ainsi la sociabilité liée aux chemsex en avant, avec notamment le concept grandissant d’after, ou de weekend, organisés autour du chemsex et de la sociabilité. Il ne s’agit pas que de baiser, mais aussi de rencontrer des gens, de discuter et de partager, de se faire des amis et des amants, le tout aidé par l’effet désinhibant des substances.

Les produits consommés peuvent donner l’impression trompeuse de se trouver dans un espace sans dangers, dans une bulle protectrice, entouré d’amis bienveillants avec lesquels la connexion est simple et naturelle. Ce sentiment de bien-être et de sociabilisation, procuré par les substances, peut expliquer le relâchement des réflexes élémentaires de réduction des risques, notamment par rapport au VIH, et inciter à baisser la garde face aux risques associés au chemsex (voir le chapitre : «  les risques liés à la pratique du chemsex » de ce dossier).

Ce besoin d’acceptation peut aussi conduire certains à slammer (c’est-à-dire s’injecter les produits) pour augmenter le sentiment d’appartenance à un groupe ou une communauté. Notamment chez les jeunes gays qui débutent leur sexualité, chez c eux qui se sentent isolés socialement ou qui ne répondent pas, ou plus, aux critères (physique, âge, style, etc.) en vigueur dans le circuit sexuel gay.

Plus encore que les autres modes de consommation, le slam est très souvent l’objet d’une initiation marquante avec un rapport initié/initiateur spécifique qui entraine une envie de rémanence. Soit le désir de recommencer et revivre ce moment particulièrement marquant.

D’une autre manière, refuser de prendre des chems peut-être un motif d’exclusion ou de rejet de la part de certains partenaires.

La désinhibition sexuelle et la levée des complexes (physiques, psychologiques, sexuels et sociaux)

L’injonction de se conformer à des canons physiques, à des normes en termes de pratiques sexuelles, à des critères, et des tranches d’âge, de désirabilité, peut conduire certains gays à se sentir exclus des rencontres et donc de la sexualité. Les applications ont renforcé fortement le sentiment de n’être jamais assez bien (beau, jeune, musclé, bien monté, etc.) pour l’autre et de ne pas être conforme aux standards de séduction en vigueur dans la communauté gay. Face aux critères de beauté et de désirabilité véhiculés par les médias et les réseaux sociaux, l’usage de drogues pendant les rapports sexuels peut être une façon de lever ces freins (donc les complexes physiques et psychiques) en aidant, par désinhibition, à aborder des partenaires sexuels secrètement désirés. Ou tout simplement, parce que beaucoup de gays, excités par la prise de substances, font passer leur satisfaction sexuelle avant leurs préférences physiques.

Les produits utilisés, en modifiant l’état de conscience et le rapport à autrui, contribuent à diminuer les critères de sélection en vigueur. Rush sexuel et libido exacerbé oblige, certains chemsexeurs avouent ainsi avoir des rapports intimes et/ou sexuels avec des partenaires qui sans drogues ne leur auraient pas semblé attractifs.

Sexuellement en permettant d’assumer pleinement une passivité mal assumée ou douloureuse, ou de s’adonner à des pratiques considérées comme plus « hard », grâce à l’effet désinhibant et relaxant des substances, le chemsex peut offrir l’impression d’une libération sexuelle, l’accès à des pratiques érotiques plus satisfaisantes, ainsi que la découverte d’une jouissance plus intense.

A l’inverse en permettant de lever les critères physiques qu’on s’est fixé plus ou moins inconsciemment, et en aidant à trouver d’autres garçons, hors de ses critères habituels, désirables, le chemsex peut offrir la sensation - illusoire - d’un monde enfin libéré des diktats liés au physique, à l’âge, à la taille du sexe, aux rôles sexuels, etc. Ou au contraire accentuer cette discrimination induite par le physique, l’âge, et les pratiques sexuelles, en convainquant l’utilisateur que sans chems sa sexualité sera forcément limitée par les critères de désirabilité fixés par la communauté.

Pour beaucoup de gays âgés, pratiquer le chemsex est une manière de s’affranchir des critères sexuels, jeunistes et physiques véhiculés par les médias, la communauté gay, le circuit festif, les sex-clubs et les applis de rencontre. La prise de produits permet alors le maintien d’une sexualité jugée satisfaisante et épanouissante. Comme offrir, ou procurer des produits, à ses partenaires sexuels, permet aux gays âgés, ou dont le physique n’entre plus dans les normes, peut donner l’illusion d’être plus attractif physiquement et sexuellement.

Accompagner son compagnon dans sa consommation

Dans certains cas, la pratique du chemsex est motivée par le désir d’accompagner son ou ses partenaires sexuels réguliers, ou son compagnon de vie, dans son expérience vis-à-vis du chemsex et les problèmes liés à sa consommation.

Ce peut aussi être une manière de pouvoir répondre à des désirs sexuels nouveaux, avec la volonté, en quelque sorte, d’être sur la même longueur d’onde sexuellement. Les effets des drogues utilisées favorisent souvent une intimité nouvelle au sein du couple. Certains partenaires s’autorisent à exprimer des sentiments ou des fantasmes jamais avoués. Le chemsex établissant une connexion émotionnelle nouvelle et d’une intensité jamais égalée, mais qui est loin d’être sans effets secondaires et sans dangers.

Remerciements au Dr David Friboulet, psychothérapeute et sexologue, coordinateur du CeSaMe Paris IDF de l’ENIPSE.

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