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Louis Feghlou : un homme tout simplement

Xavier Héraud

Notre cover boy du mois, c’est Louis Feghlou, auteur avec Marie-Lou Lesage de la bd « Petite fille deviendra grand ». Le jeune homme y raconte sa vie et son parcours d’homme trans avec une simplicité et une positivité qui font du bien. Rencontre.

On rencontre Louis Feghlou à trois semaines de son départ pour le Canada. Il part y terminer sa formation pour devenir médecin urgentiste. Avant de partir, il a publié une bd, Petite fille deviendra grand, illustrée par Marie-Lou Lesage. Il y raconte son histoire, et en particulier sa transition. Un récit  dans lequel les personnes trans pourront se retrouver et grâce auquel les autres apprendront sans doute des choses. Louis évoque tout, sans tabou : ses interrogations, les réactions pas toujours positives (c’est un euphémisme) de sa famille, la chirurgie, mais aussi et surtout ses joies : celle de se trouver, celle de tomber amoureux, celle d’être soutenu et accompagné par les personnes qu’on aime… Les moments difficiles ne sont pas ignorés, mais jamais le récit ne verse dans l’auto-apitoiement. 

Assigné fille à la naissance

La famille de sa mère vient d’Algérie. Ses grands-parents sont venus en France dans l’espoir d’une vie meilleure. Louis naît en 1999. Il est le premier enfant de sa mère. Son père avait déjà un enfant et n’en désirait pas d’autre, alors il part. La mère de Louis retourne vivre chez ses parents. C’est là qu’il va grandir. Problème : l’enfant a été assignée fille à la naissance. Il grandit avec le corps d’une fille et on le genre ainsi. Très tôt Louis prend conscience de sa différence et demande à sa mère pourquoi son zizi ne pousse pas. Faute d’explication, Louis continue sa vie. Jusqu’à deux prises de conscience successives : d’abord il réalise qu’il aime les filles. Puis quelque temps après, en tombant sur un documentaire qui parle de personnes trans, c’est la révélation. 

Lui qui parle au quotidien de sa vie et de sa transidentité à ses 46 000 abonnés sur Instagram n’avait pas du tout prévu de parler de son histoire sous ce format-là : « je ne pensais jamais écrire un jour une BD. Ce sont les éditions Leduc qui m'ont contacté. Ils m’avaient vu sur les réseaux et voulaient publier depuis longtemps une BD sur la transidentité. Et ce qui leur a plu, c'est mon profil. Parce que c'est vrai que je suis hyper proche de mes abonnés, malgré le grand nombre. » Il pense qu’ils ont dû apprécier « cette proximité, cette simplicité à travers mes posts pour expliquer les choses avec des termes hyper simples et vraiment pour casser un peu les termes hyper lourds avec lesquels parfois on explique les parcours d'une transidentité ».

Pour écrire son histoire, il lui a fallu se replonger dedans. Une démarche pas évidente. « oui, très difficile, confirme le jeune homme, parce qu'en vrai, il y a tellement de choses qui se passent dans une vie déjà, dans un parcours de transition encore plus… On passe par tellement d'émotions que lorsqu’on se replonge dedans, on se dit parfois « j'avais oublié que j'avais vécu ça, j'avais oublié que ça s'était passé comme ci, comme ça ». Il y a beaucoup de choses aussi qu'on réprime, des émotions, des moments difficiles. Et tout retracer depuis le début et faire le tri entre ce qui vaut la peine d’être raconté et ce qui est peut-être trop intime, c'est compliqué. »

« J’ai toujours été Louis »

Qu’il soit représenté en fille, avec son nom de naissance ne lui a pas posé de problème en revanche : « je n'ai pas de problème avec ça parce que moi c'est une continuité. Il n’y a pas vraiment de dissociation entre le moi d'avant et le moi de maintenant. C'est juste une évolution. Pour moi, j'ai toujours été Louis. C'est juste que je n'arrivais pas à mettre les mots dessus et que je ne pouvais pas diffuser l'information autour de moi telle qu'elle était vraiment. »

L’un des plus beaux « personnages » de la bd, c’est incontestablement la mère de Louis, qui le soutient à chaque étape de son parcours, y compris en surmontant ses propres préjugés. Comment a-t-elle réagi en se retrouvant dans la bd de son fils ? « Ma mère a été une des premières lectrices. Elle était hyper émue. On est hyper fusionnels, mais je pense qu'elle m'a un peu redécouvert dans cette bd. Il y a des choses que je ne lui ai jamais dites et que je n'ai jamais vraiment verbalisées de cette manière-là. Donc, elle a pu voir des faces un petit peu cachées de moi. Et elle a pu voir comment elle a vraiment agi, réfléchir à comment elle a réagi à certains moments et se dire « ah oui, il y a des fois où j'ai fait un peu des erreurs » et auxquelles elle n'avait je crois pas repensé vraiment. »

Si la sortie de la bd de Louis a attiré notre regard, c’est parce qu’on l’avait déjà croisé dans la ballroom scene (ou scène voguing) parisienne. Un univers dont il s’est éloigné depuis, mais qu’il a marqué durablement : il a été le premier homme trans à participer à des balls. Depuis plusieurs catégories sont ouvertes aux hommes trans et elles comptent désormais de nombreux participants. 

Encore beaucoup de travail à faire pour les LGB

Dans la communauté LGBT, il se sent globalement bien accueilli, mais pointe-t-il,  « il y a encore beaucoup de travail à faire ». « Parce que beaucoup de personnes partent du principe que comme ils sont LGB, ils n'ont pas besoin vraiment de s'éduquer sur les questions de transidentité. Parce que pour eux, comme ils font partie de la communauté, limite c'est livré avec. Alors qu’il y a un gros manque de déconstruction, quand même. Ce n'est pas de la méchanceté pour la plupart, c'est vraiment juste de la maladresse et un manque d'éducation. C'est important de s'informer pour créer vraiment un espace safe et agréable pour tout le monde. »

Si Louis quitte la France, c’est que la situation politique le préoccupe : « elle m'a toujours inquiétée parce que moi j'ai toujours vu un peu la France comme un pays malheureusement très hypocrite, c'est beaucoup de façade. C'est beaucoup de nous on est hyper ouvert d'esprit, on est hyper progressiste mais bon le mariage pour tous ça a quand même mis beaucoup de temps à arriver. (…) Si on parle du côté transidentité, alors là, c'est encore un gros sujet. On est plus visibles, mais ça ne veut pas dire qu’on est plus protégés. On est mis un peu sur le devant de la scène comme la source de beaucoup de maux des gens: si les gens ne sont pas remboursés pour  leurs lunettes de vue c'est parce que bien évidemment on met tout l'argent dans les transitions et les opérations des trans. C'est beaucoup de violence. » 

Il critique la « montée fulgurante » du racisme, et en particulier de l’islamophobie, en France ces dernières années. « J'ai besoin d'être dans un pays qui partage les mêmes valeurs qui pour moi sont juste des valeurs du vivre ensemble et qui sont normales. Mais je n'ai pas l'impression que la France soit vraiment dans cette démarche-là d'évolution réelle. Je pense qu'on est encore loin de ce pays progressiste qui est peint. Cette France du vivre ensemble, moi je ne l'ai jamais connue. Moi j'ai toujours vu une France hyper dure, qui sépare les gens et qui les met dans des cases. Il y a les noirs et les arabes, il y a les LGBT… Chacun dans son coin et on va frapper les communautés les unes après les autres à chaque fois qu'on aura un problème, alors que le problème il est bien plus haut. »

Lorsqu’on lui demande si derrière sa démarche, que ce soit sur Instagram ou dans cette bd, il y a l’idée d’être un modèle, il a cette jolie réponse : «  un modèle, je ne sais pas, mais en tout cas il y a l’idée d’être une personne de qui on se sent proche. » Il poursuit : « j’ai envie que les personnes trans qui me suivent se sentent écoutées et vues. Et que les personnes cis se sentent accompagnées dans leur éducation. » Un modèle, peut-être. Un exemple, c’est certain. 

Photos: Xavier Héraud

Petite fille deviendra grand,  Louis Feghlou  et Marie-Lou Lesage, Leduc Graphic, 19,90 €.

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