Comme un rush de poppers calibré pour les dancefloors gay, High Energy d’Evelyn Thomas, tube à 200% gay, va marquer au fer rouge les années 80.
High energy, your love is lifting me - Whoa-oh, high energy, yeah - Your love is lifting me - Lifting me high - High : en quarante ans, les paroles de High Energy, ce tube incunable des années disco, se sont imposées comme un standard populaire et mondial. Un obligé des troisièmes mi-temps dans le monde du football et un indispensable de toute soirée karaoké qui se respecte. Au départ de ce tube hors-norme, on trouve Evelyn Thomas (à ne pas confondre avec l’animatrice de débat télé à la mords-moi-le-nœud dans les années 90 avec C’est mon choix).
Née à Chicago, afro-américaine, dotée d’un coffre de voix à déclencher un tsunami, Evelyn Thomas est une chanteuse qui cherche à se faire une place au soleil du showbiz en s’essayant à la soul, au gospel ou au funk, sans véritablement se détacher du lot de ses concurrentes, nombreuses à l’époque, et décrocher le gros lot. Ce sera sa rencontre avec le producteur et DJ anglais Ian Levine, grand amateur de soul-music, qui changera la donne. Dans les années 60 et 70, Ian est un des DJs phares de la scène northern soul anglaise. Un dérivé à la sauce british de la soul américaine qui chaque week-end attire des milliers de jeunes anglais venus des quatre coins de l’Angleterre, danser trois jours durant aidés par les amphétamines qu’ils s’envoient comme des bonbons.
Devenu le DJ résident du méga-club gay Heaven, qui ouvre en décembre 1979, Ian Levine se heurte à un problème majeur : le manque de disques énergiques capables de faire danser les gays qui entament le vendredi soir des véritables marathons de danse. « Le disque le plus joué aux débuts du Heaven était « Relight My Fire » de Dan Hartman : on sortait les grands ventilateurs et 2000 personnes se mettaient à hurler, les mains en l’air, se souvient Ian Levine, c’était électrisant, mais comme on ne trouvait pas assez de disques capables de produire un effet aussi puissant, nous nous sommes mis à en faire nous-mêmes.» Ian se souvient alors que la mode aux Etats-Unis est, à la fin des 70’s, alors que le disco a conquis la planète entière, à un durcissement du genre qu’on appelle Hi-NRG. Plus martiale, plus synthétique, plus orgasmique, cette dérivation du disco inventée par Patrick Cowley, jeune producteur gay surdoué de San Francisco qui avec la diva Sylvester produit des miracles comme You make me feel (mighty real), va faire tilt dans les oreilles de Ian Levine. Chose dite, chose faite : en 1983 sort So many men, so little time de Miquel Brown. Un hymne effréné en hommage à la consommation sexuelle, qui pose les bases de la Hi-NRG version british. Autant le San Francisco sound traduit les obsessions de Patrick Cowley pour une musique entièrement artificielle et robotique, autant Ian Levine se souvient de son amour d’un label soul comme la Motown et insuffle un soupçon de chair et de mélodie à ses tubes calibrés pour les dancefloors. Une recette qu’il appliquera à des dizaines et des dizaines de hits (Earlen Bentley, Eastbound Express Way, Viola Wills, Carol Jiani…), tous calibrés plus queer les uns que les autres, paroles comprises, qui vont servir de carburant aux dancefloors gays, et leurs muscles saillants, des années 80. Le sommet étant à chercher du côté du High Energy de Evelyn Thomas qui va s’imposer en tête des charts. Mais surtout condenser tout l’esprit de la Hi-NRG avec sa rythmique caractéristique en forme de clap, ses envolées vocales tonitruantes, ses mélodies putassières et sa dynamique proche d’un rush de poppers.
Une formule musicale que pilleront allègrement par la suite le génial trio de producteurs Stock, Aitken & Waterman, avec les tubes You spin me round de Dead Or Alive, Venus de Bananarama ou Better the devil you know de Kylie Minogue. Tous tubes qui poseront tranquillement les bases, et les gimmicks, de la révolution house anglaise naissante… Et on ne parle pas de l’eurodance des années 90 ! Reine des dancefloors, et diva à un seul tube, Evelyn Thomas s’est éteinte le 21 juillet dernier des suites d’une longue maladie. C’est Ian Levine, dont elle était restée très proche, qui a lui-même annoncé la triste nouvelle. Reste dans l’inconscient collectif gay, un hymne, qui sous ses dehors clinquants et superficiels, va s’imposer comme la bande son de l’épidémie de sida qui pointe le bout du nez en ce début des années 80. Une maladie redoutable qui va décimer la communauté gay mais qui, résilience oblige, ne va pas pour autant l’arrêter de danser, comme un ultime pied de nez au destin. Mais aussi comme une manière de confirmer en beauté ce que l’association Act Up signifiait en affirmant que danser = vivre.