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Jean Ranobrac, bien plus que du drag

Julien Claudé-Pénégry

Dans un monde où les identités se redéfinissent sans cesse, le photographe Jean Ranobrac se démarque. Un parcours et un univers visuel atypiques, et une rencontre fortuite avec la culture drag ont façonné un artiste dont l’objectif va bien au-delà de l’image.

Le déclic

La passion de jean pour la photographie a germé dès son enfance. Bercé par les albums familiaux, c’est à l’âge de 15 ans lorsqu’il reçoit son premier appareil photo, que sa vie prend un tournant décisif. « J’ai commencé à documenter ma vie comme si c’était un film », se remémore-t-il. Pour lui, l’appareil photo est un prétexte, un moyen de créer du lien avec les autres. Chaque cliché devient une page de son journal intime. Un témoignage des moments partagés. 

Une rencontre inattendue

C’est lors d’une soirée, alors qu’il travers une période de panne créative, que Jean croise la route de Messalina Masclina, une drag queen lyonnaise. Intrigué par cet univers qu’il ne connait pas encore, il lui demande de le laisser la photographier pendant qu’elle se prépare. « C’était une révélation », raconte-t-il. Cette rencontre le plonge dans le monde des drags, un univers vibrant et coloré qui l’inspire profondément. 

L’ascension dans la drag culture

Il devient rapidement un acteur de la scène drag lyonnaise. « J’ai découvert un monde où la créativité n’a pas de limites », dit-il avec enthousiasme. Son travail le mène à Paris où il intègre l’école des Gobelins. Pendant trois années, il ramène systématiquement ses projets à la culture drag, explorant les thématiques de l’identité, de la performance et de la communauté. 

Un art au service de la visibilité

En 2019, Jean part à la conquête de l’Europe pour son mémoire, mettant en lumière les drags et leur galaxie. Sa patte ne passe pas inaperçue : une agence de retouche le recrute après avoir découvert ses clichés. « C’était un tournant, je suis resté trois années avec eux », explique-t-il. Il allie sa passion pour la photo et son engagement dans la communauté queer, tout en continuant à développer et peaufiner son propre style. Les journées sont effrénées. « J’allais retoucher pendant 8 à 9 heures, je rentrais et il y avait des gens qui m’attendaient devant la porte. Je shootais pendant 2 heures et puis je retouchais jusqu’à 2 heure du mat’ », se souvient-il, le regard pensif. Cette cadence infernale fait désormais partie du passé. Un jour, il a fait le bilan et face à la pression et aux contraintes du métier, il a décidé de dire « stop ! » et de se recentrer sur ce qui le passionne vraiment.

All he needs, is drag

C’est alors qu’une proposition imprévue se présente à lui : participer à la première saison de Drag Race France. « Ça te dit de faire les photos de promo ? », lui demande-t-on. Il accepte. Travaille pendant une journée sans se douter de l’ampleur que cela prendra. Ce qui commence comme une simple journée, se transforme rapidement en une aventure exaltante. Le tournage se déroule dans une ambiance électrique, entouré de figures emblématiques du drag. « Je suis vraiment très extérieur », explique-t-il, tout en se remémorant ses échanges avec Kam Hugh, qui lui demande en suivant de shooter tous ses looks. « On fait ça à 8h du matin à la Tour Eiffel, juste avant de filer bosser », décoche-t-il amusé par cette situation cocase. Lorsqu’à l’été, la première édition de Drag Race France est diffusée sur FranceTV, il prend conscience de l’impact du show. « Là, il y a eu un truc, ça a été la médiatisation. Grâce à la campagne dans les rues, mes clichés sont partout », décrit-il encore étonné. Jean Ranobrac devient incontournable. « Ah, bah tu commences le drag ? Bah, tiens, faut avoir ta photo avec Ranobrac », confie-t-il. 

Autres priorités

Il réorganise sa vie de fond en combles pour se libérer du temps et « vivre plus follement ». Cela lui permet de se rendre plus dispo pour Drag Race, à de dire aux filles « je suis là si vous avez besoin. Je suis hyper adaptable, je suis dispo. » Un coup de boost nécessaire après une routine du 9h-19h dans laquelle il commençait à s’enfermer et à le frustrer. « Là, ça fait désormais un an et demi que j’ai switch », enchaîne-t-il satisfait de ces choix tout en reconnaissant que le drag lui prend beaucoup de temps et qu’il cherche de nouveaux projets. Après avoir arrêté la retouche en agence, le temps qu’il a eu de disponible lui a fait prendre conscience du bonheur que la diversité apporte. Retoucheur pour Cartier pour des projets ponctuels pour Martin Margiela, pour des projets d’albums, de communication avec Miss Boo, Romain Brau, sur des clips, des soirées. Ses compétences sont multiples et fortement appréciées. Aujourd’hui, il est épanoui et heureux d’être payé pour des choses qui lui plaisent. Un luxe assurément, mais aussi des concessions volontaires pour être plus en adéquation avec qui il est.

Un livre témoignage

Au moment où il était en mode « j’en ai marre de travailler », il reçoit un mail expliquant que Gallimard aimerait bien faire un livre sur tout son travail. Mais Jean n’est pas dans le mood. Lui ce sont les photos, pas les livres. « Ce n’est pas un accomplissement en soi, pour moi. Et puis, je ne pense pas que mon travail soit si riche que ça non plus pour que ce soit plus que 10 pages. Donc, ça ne m’intéresse pas », explique-t-il. Il en profite pour remettre son site internet à jour, refaire sa bio, avancer sur de nombreux projets, et six mois plus rebelotte, un second mail pour lui redemander. Maintenant, ça l’excite. La remise à niveau de tout ce qu’il a fait lui prouve qu’il a quelque chose à proposer. Il a carte blanche de la part de la maison d’édition. Il fait sa sélection de photos et conserve les 90 meilleures photos sur les 8 dernières années, fait son sourcing, décide qu’il n’y aura pas de texte et raconte une histoire, celle du drag dans un ouvrage lé-gen-daire baptisé Icônes drags.

L’envers du décor

Le plus incroyable dans cette aventure de Drag Race France, c’est que Jean n’est pas un fan du monde de RuPaul’s Drag Race. « Enfin, je connaissais de loin, mais je n’avais jamais regardé », se défend-il amusé. Dès la 1ere saison, les appréhensions naissent. Pour lui deux interrogations le tarabustent : qu'est-ce que ça va bien pouvoir donner en version française et comment ça va être accueilli ? Force est de constater que le pari est plus que gagné.

Puisqu’au niveau du grand public et bien au-delà de ça, Drag Race France est l’une des plus belles licences au monde. « Elle cartonne plus que certaines américaines et je suis très content que ça puisse mettre en lumière tout un monde ! Ça a été un interrupteur de démocratisation, un énorme coming out », sourit-il. 

Sans borne

Dans l’univers créatif de Jean Ranobrac, il y a avant tout une magie incomparable qui se dégage de ses réalisations. Les drags ont une place majeure mais il n’y a pas que cela. Quand on pénètre dans le monde Jean, on y découvre son appétence des portraits divers et variés et pour l’art du presque nu. Il empreinte en effet des compositions d’œuvres d’art issues des grands peintres dans lesquelles il intègre des « mecs à poil », comme il le dit. Dans ces tableaux de maître, il photographie en général des potes qu’il met en scène pour reproduire la scène. Le résultat est bluffant. Touche à tout, curieux et perfectionniste, il fait de chaque cliché que ce soit un homme nu ou une drag, une aventure à part entière, un moment unique. Son travail est une zone d’expérimentation où les envies prennent vie. Quand les idées des drags rencontrent son esprit créatif, les personnalités se dévoilent. Pour que la féerie prenne, c’est la confiance qui est offerte de la part des Drags à Jean qui le nourrit dans ces réalisations originales où des couleurs ultra pop viennent se poser comme chez David LaChapelle. Une séance photo ce sont des contraintes techniques mais un confort de travail. 

Une signature

« On veut montrer qu’on est dans un château. Mais on n’a pas accès au château. Donc comment fait-on ? Eh ben on pousse à la retouche. On met la personne dans un espace immense et on la fait voyager avec un travail de montage qui soit qualitatif et efficace », développe-t-il. «  Pour cela, j’utilise l’intelligence artificielle. Je mélange les idées. En général je passe de 2 à 5 heures à générer des images, à essayer de croiser les thématiques et à mélanger les images entre elles pour arriver à une proposition d’une dizaine à une quinzaine de concepts visuels qui serviront de tableau et que l’on s’arrête avec la drag sur une suggestion qui lui plaise. Ça permet de les faire atterrir dans des endroits qu’elles n’auraient jamais imaginés », sourit-il. Fascinant de bout en bout, ce processus créatif est l’union parfaite de l’outil au service du génie du monsieur. Véritable conteur, Jean Ranobrac est le témoin privilégié des luttes et des joies de la culture drag. Mais bien plus qu’un simple observateur, il révèle grâce à son objectif la sensibilité des personnes qu’il immortalise. Il capture des moments d’émotions, l’essence de ces talents à travers leur beauté, leurs combats, leurs audaces, leur présence. Shantay you stay.

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