Queer tube : Saucy Santana feat. Madonna -  Material Gworl

musique - Queer tube : Saucy Santana feat. Madonna -  Material Gworl
Patrick Thévenin

Rappeur poids lourd, assumant son ultra-féminité, Saucy Santana s’est fait une place en or dans un milieu, le rap, réputé encore pour son machisme malaisant.

Juin 2022, lors d’une performance à New York pour la Pride, Madonna invite sur scène Saucy Santana à performer avec elle un medley de son tube Material Girl des années 80 et Material Girl, le tube de bounce énervé et saccadé du rappeur manucuré et maquillé. Un énorme carton sur les réseaux sociaux, et notamment Tik Tok, et un joli coup de pub pour la Madone. Primo s’afficher avec le performer le plus over-queer de son époque, deuxio rappeler qu’en manière de découvertes de talents, elle a toujours le flair intact. 

La trentaine tout juste, Saucy est un jeune américain qui a grandi en Floride dans une famille de la bourgeoisie middle-class, avec la vie d’un adolescent jeune et rangé, qu’il va envoyer bouler à l’adolescence. Un jeune noir oversize, efféminé jusqu’au bout des ongles d’aussi loin qu’il s’en souvienne, qui va s’imprégner de ce qu’on nomme la Miami bass. Une version hardcore et électronique du hip-hop, connue pour ses basses démesurées, son flow sexuel et insolent et son univers chaud du cul comme une partouze. Un rap du ghetto, où les hommes sont des bad boys et les femmes des biatches (« putes », NDLR), dans lequel Saucy va creuser sa place dès l’adolescence, malgré ses manières et sa façon de s’habiller. « Je me suis dit, ma fille, s’il te plaît, si on allait voir ce qu’il se passe par là-bas. Je veux fumer des cigares Black & Mild comme les voyous, je veux faire partie du ghetto et me battre », déclarait non sans humour Saucy à ses débuts, ramenant de ses escapades dans le milieu ultra-testostéroné et machiste de la Miami bass le surnom de saucy (grivois) à cause de ses tenues (crop-top ultramoulant, shorts plus courts et serrés tu meurs, platform shoes démesurées…) et de sa barbe soigneusement cultivée assortie d’un maquillage démesuré.

Maquilleur pour le duo féminin de hip-hop City Girls, Saucy Santana se met à rapper devant un micro pour les besoins d’un podcast qu’il réalise avec des amis. Nous sommes en 2019, et le morceau Walk em like a dog, aussi percussif et sexuel qu’une bonne levrette, bourré de vocaux aigus et salaces, devient viral pendant que le monde découvre avec stupéfaction cette créature à la voix aiguë et au débit accéléré qui se meut comme un poisson dans l’eau dans le rap hardcore. Ultra-prolifique, Saucy enchaîne les singles à succès, apparaît dans l’émission de télé-réalité Love & hip-hop = Miami, cumule les followers sur Instagram, faisant de ses ongles de trois mètres de long et de son déhanché à mettre Christine Boutin en PLS, sa signature. 

Material Girl, le morceau où il fait la liste de tous ses desiderata fashion, achève sa starification en même temps que sa féminité assumée, fait grincer des dents le ra qui n’a pas envie que des grandes folles assumées lui pique la vedette. Décembre 2019, Saucy échappe de justesse à une fusillade nourrie alors qu’il sort de club et circule en voiture sur l’autoroute à Miami, alors qu’il est en plein tournage du clip de Material Girl. Blessé à la main, bad girl dans l’âme, Saucy, qui dénonce clairement une intimidation homophobe, ne se laisse pas décontenancer et reprend dès le lendemain le tournage de sa vidéo. « L’homophobie du milieu du rap est bien réelle, affirmait-il en début d’année au magazine Vibe. A mes débuts vers 2020, lorsque mon premier morceau est devenu viral, je ne pouvais pas me retrouver dans la même pièce que certains rappeurs. Ce n’était pas clairement formulé, mais je sentais bien que je n’étais pas le bienvenu. Les hétéros pensent souvent que s’ils se retrouvent avec un gay, ce dernier va se mettre à les sucer et ça va finir en orgie de twerk et de sperme. Alors que la vérité est plutôt : « Je ne suis pas excité par toi, mec. Essaie donc de me toucher salope, et tu verras qui est Saucy Santana ! » » Fort de plus de deux millions de stream avec l’irrésistible Material Gworl en duo avec Madonna, invité du Celebration Tour, la tournée mondiale de la Ciccone, Saucy Santana s’est imposé comme le poil à gratter du rap, à faire passer Lil Nas X pour un enfant de chœur.

Une star qui côtoie désormais son idole Cardi B ou reçoit les compliments de Drake ou Jack Harlow, et a imposé sa façon d’être un garçon différent au milieu des clichés virilistes, tout en revendiquant fièrement son genre, usant du pronom il et refusant d’être nommée au féminin. Une fierté alpha, qui malgré le maquillage, peut conduire à certains dérapages, notamment en début d’année lorsque Saucy a déclaré que les rappeuses étaient « douces » par essence et que leurs hormones les empêchaient d’être aussi fortes et redoutables que leurs équivalents masculins. Une provocation de plus à ajouter à la longue liste déjà détenue par Saucy, qui n’a aucunement l’intention de lisser son image ou de jouer la carte du politiquement correct queer. Mais à qui on aimerait rappeler que déconstruire les stéréotypes est une bonne chose, à condition de ne pas en renforcer d’autres !

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