Articles / Histoire

On a regardé Queer as folk 25 ans après sa sortie

Xavier Héraud

Véritable révolution dans l’univers des séries, «  Queer as folk » a 25 ans. A-t-elle encore quelque chose à nous dire ? Nous l’avons regardée à nouveau. 

Un jeudi soir sur Canal Street, la rue principale du quartier gay de Manchester. Stuart et Vince, deux gays trentenaires, sont de sortie. Comme chaque semaine, ils écument les bars et la boîte gay du coin, le Babylon, où les notes hypnotiques du Haven’t you Heard, de Patrice Rushen font danser les foules. Verres, drague, voire coups rapides, le rituel est immuable. C’est lors d’une de ces soirées que débarque Nathan, 15 ans, bien décidé à découvrir la vie gay et à avoir sa première relation sexuelle.

On l’a beaucoup dit, lors de sa diffusion en 1999, Queer as folk marque une petite révolution. C’est d’abord la première série centrée autour d’un groupe de personnages gays et lesbiens (quoique essentiellement gays). En outre, les gays et les lesbiennes de QAF ne s’excusent pas de l’être. Ni victimes, ni adolescents naïfs, ni marginaux. Ce ne sont pas des malades non plus. Russell T. Davies, le créateur de la série, a fait un choix radical : à peine trois ans après l’arrivée des trithérapies, il a choisi de ne pas évoquer le VIH/sida, sinon par allusions. L’auteur veut montrer que la vie des gays ne se résume pas à ça. Il se rattrapera 20 ans plus tard, avec la formidable mini-série It’s a sin. 

Queer as folk (dans sa version anglaise) a-t-elle résisté au temps? Ou n’est-elle qu’une pionnière désormais périmée? On a voulu voir si un quart de siècle après sa diffusion initiale — une bonne génération, la série gardait sa pertinence. Alors, on a ressorti le coffret DVD, utilisé le lecteur DVD de la Playstation (qui possède encore un lecteur DVD en état de marche aujourd’hui?) et c’est parti ! 

L’époque du porno en VHS

Passée la petite gêne due aux images, qui ont bien vieilli, on se replonge avec plaisir dans les aventures du trio, qu’on suit aussi bien dans leurs sorties que dans leur vie quotidienne. On est à la fin des années 90. Aucun pays n’a encore ouvert le mariage aux couples de même sexe. C’est l’époque du porno en VHS, des lofts à la déco clinquante, comme celui de Stuart, des quartiers gays, hélas aujourd’hui en voie d’extinction. Queer as folk dépeint très bien comment les gays sont obligés de cloisonner leurs vies. Liberté avec les amis, les amants, mais retour au placard dans le travail ou en famille. Les collègues de Vince essaient de le rencarder avec une nouvelle collègue. Lui n’étant pas out, il se voit contraint de jouer le jeu, jusqu’à ce que le mensonge finalement éclate au grand jour, avec pertes et fracas. Cette dichotomie existe toujours aujourd’hui, y compris dans nos sociétés occidentales, mais d’une part, elle tend à être moins marquée, et d’autre part, beaucoup de fictions ont exploré ce thème-là par la suite. D’où peut-être une envie d'accélérer ces scènes au revisionnage. Par ailleurs, en plus de l’intrigue principale, qui tourne autour de l’amour non-réciproque de Vince pour Stuart, la série aborde un certain nombre de thèmes au cours de ses 10 épisodes: avec une certaine justesse pour ce qui est de l’homoparentalité, un peu moins lorsqu’elle parle de drogue ou de demande d’asile.   

Un point qui ferait peut-être débat aujourd’hui : Nathan, « le plan cul qui n’est jamais reparti », comme le décrit Vince, a 15 ans, et Stuart, son amant, 29 ans. S’il n’y a pas de relation d’emprise entre les deux, l’âge était suffisamment touchy, même à l’époque, pour que dans la version américaine, le personnage, renommé Justin, ait deux ans de plus. 

Enfin, comme beaucoup de séries de l’époque, Queer as folk manque de diversité. La très grande majorité des personnages sont blancs. C’est l’un des points que le reboot américain de 2022 a voulu corriger, au point que cette volonté d’inclusion a fini par se substituer à l’histoire. 

Une quête permanente de la rencontre

Un aspect de la vie des personnages de Queer as folk qui reste très contemporain, c’est cette quête permanente de la rencontre. Les applis géolocalisées n’existent pas encore. Pour trouver des mecs, on est principalement obligés de sortir dans les établissements communautaires. Les sites de rencontres avec leur connexion modem — et son bruit si caractéristique —  et ses photos qui mettent de longues secondes à s’afficher en sont encore à leurs débuts. Mais l’esprit ne diffère pas énormément. Comme le dit Vince dans les toutes premières minutes de la série, lorsqu’ils sortent : « Parfois tu es en plein milieu d’une baise et il t’ennuie, donc tu le branles et le fais jouir sur un pas de porte et tu passes à autre chose. Parce que tu continues à chercher. C’est pour ça que tu continues à sortir. Il y a toujours un nouveau mec, un mec mieux, qui t’attend juste au coin de la rue. » Grindr n’a rien inventé. 

Après visionnage des 10 épisodes, force est de constater que l’audace de Queer as folk a bien résisté au temps. En grande partie grâce au talent de Russell T. Davies pour les dialogues, comme il a pu le montrer ensuite à de nombreuses reprises dans les séries Cucumber, Years and Years ou It’s a sin et grâce à sa science du casting. Aiden Gillen (qui deviendra plus le Littlefinger de Game of thrones) et Craig Kelly forment un beau duo d’amis et la beauté du jeune Charlie Hunnam (Sons of Anarchy) irradie littéralement dans chaque scène où il se trouve. Sans oublier les rôles secondaires, tous aussi brillants les uns que les autres. 

Au final, on retiendra de ce visionnage express que Queer as folk n’est pas juste la première série avec des gays comme personnages principaux, c’est avant tout une bonne série. Et son héritage le plus important demeure peut-être celui-ci : nos histoires valent la peine d’être racontées, pas juste à un travers un personnage secondaire, pas le temps d’un épisode fait pour émouvoir les foules. Au delà de l’histoire de Stuart et Vince, on retiendra aussi la joie et l’enthousiasme du personnage de Nathan, lorsqu’il découvre la vie gay. Queer as folk se veut une série optimiste. Malgré tous les obstacles et les tragédies que la vie peut coller sur nos parcours, Russell T. Davies nous rappelle qu’il y a en chacun de nous quelque chose de positif et de beau. Et de vivant. Ce n’était pas inutile à affirmer en 1999, et ça n’est pas inutile à rappeler aujourd’hui.

Cet article a été publié dans Strobo n°30

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