Gossip : une queen en version XXL

musique - Gossip : une queen en version XXL
Jean Jacob

Absent depuis quatorze ans, le trio américain emporté par l’incroyable Beth Ditto, annonce son retour avec un nouvel album qui sent bon les guitares électriques et l’envie de danser.

2005, surgi de nulle part, un hymne queer prend son envol comme jamais. Emporté par un trio américain qui puise ses sources dans le punk-rock et le mouvement des Riot Grrrls, Standing in The Way Of Control, prise de position salutaire contre la politique menée par Bush au message en faveur du mariage gay, avec son mélange de guitares électriques en fusion et de de disco pétaradant, est un obligé des soirées LGBT comme des manifs. Un tube arc-en-ciel générationnel qui va marquer les années 2000, tout en révélant Beth Ditto, la chanteuse et leadeuse du groupe comme LA diva XXL qu’on attendait depuis longtemps. 

Une enfance au fond du trou 

Tout n’a pourtant pas été rose pour Beth, née dans le trou du cul du fin fond de l’Arkansas en 1981, patrie des rednecks qui tirent sur les écureuils pour mieux les faire rôtir et les manger ensuite, élevée par une mère divorcée, des beaux pères de passage, une fratrie nombreuse, une tante qui recueille tous les abîmés de la vie et un oncle agresseur sexuel. Et au-delà de tout ça, un physique pas comme les autres, un surpoids source de railleries continuelles à l’école comme à la maison, une attirance pour les filles et son lot de questions existentielles. Et la musique, les tubes soul et pop de l’époque qui passent à la radio, comme unique consolation en espérant des jours meilleurs ! C’est en rencontrant Kathy Mendonca, la première batteuse du groupe et Nathan Howdeshell, le guitariste attitré, que Beth va trouver une famille de substitution et commencer à apercevoir la lueur au bout du tunnel en déménageant avec eux à l’autre bout du pays, à savoir Olympia, à la fin de l’adolescence. Une ville célèbre pour être un terrain fertile pour le punk et le grunge et le berceau du mouvement des Riot Grrrls. Une bande de féministes et de lesbiennes qui, armées de leurs guitares électriques affûtées comme des couteaux, vont imposer leur présence et leur féminité dans un mouvement trop couillu pour être honnête. Formé sur un coup de tête, dans l’arrière fond d’un garage, avec du matériel de fortune, Gossip, avec son mélange mal dégrossi de punk strident et de rock rageur, séduit déjà par la voix profonde, qui puise dans les tréfonds de la soul et du gospel de Beth, résultat de ses nombreuses heures à chanter à l’église, comme beaucoup de jeunes américaines de l’Amérique profonde. Signé sur un petit label farouchement indépendant, et né avec l’explosion grunge qui truste les hit-parades et fascine la jeunesse, Gossip publie quelques albums mal dégrossis, colériques et suants, déterminés et militants, qui commencent à apporter au groupe une certaine fanbase. Un public de fidèles séduit par cette fille sans filtre qui, en concert, harangue la foule, siffle une bouteille d’alcool fort au goulot et termine à moitié à poil, en sueur, avec déjà un sens du show qui n’appartient qu’à elle.

Le début de la gloire

Mais, alors que Gossip n’est qu’un projet parallèle, Beth se destinant à une carrière de coiffeuse, le groupe est rattrapé par le destin, lorsque Le Tigre (groupe lesbien mythique emmené par Kathleen Hanna, ex de Bikini Kill, fer de lance des Riot Grrrls) leur propose d’assumer la première partie de leur tournée. C’est un rêve de gosse pour Beth, hallucinée par la nouvelle, et le premier accroc au sein du trio, la batteuse Cathy craignant de perdre son travail si elle les suit sur la route. Remplacée par Hannah Blilie, une batteuse plus confirmée et au jeu rythmique très élaboré et personnel, la nouvelle formation trouve la pièce manquante au puzzle. L’élément qui va faire son succès et son ascension dans les charts. Avec l’album Standing in The Way Of Control, le groupe qui jouait avant ça devant des petites salles dans des squats passe d’un claquement de doigt de l’underground au mainstream, assure les premières parties de poids lourds du rock tout en multipliant les couvertures de magazine dont le vénérable NME. La bible anglaise de la musique qui en 2007 affiche Beth Ditto entièrement nue tout en la proclamant personnalité la plus cool de l’année. Grosse, lesbienne, délurée, activiste, la langue partout sauf dans sa poche, grande amoureuse de la mode, phénomène de scène sans précédent, personnalité hors-norme, le charisme et le culot de Beth, la propulsent en égérie queer et moderne. 

La naissance d’une icône

Elle devient la meilleure amie de Kate Moss et la cible des paparazzis, elle est invitée à tous les front-row des défilés, Jean-Paul Gaultier craque sur elle et en fait son égérie, la ligne de maquillage inclusif MAC lance une gamme à son effigie, on la voit apparaître dans des petits rôles pour la télé ou le cinéma, notamment chez Gus Van Sant. Pourtant, pendant que le groupe poursuit son succès ascendant avec l’album Music For Men, et l’immense tube Heavy Cross, plus gros succès à ce jour pour le groupe, les tensions internes commencent doucement à fissurer le trio. Nathan, le guitariste, s’enfermant dans son mutisme habituel et retournant s’occuper de la ferme de son père au fin fond de l’Arkansas, tandis que Beth multiple les expériences - stylisme, disque solo, featurings, comédie - tout en s’égarant légèrement en route. En essayant de s’orienter vers des sonorités plus dance et pop, moins rock et rebelles, sur l’album A Joyful Noise Gossip perd tout ce qui faisait le sel de ses débuts et annonce sa séparation en 2016. Au grand dam des nombreux fans qui se souviennent les larmes à l’œil des concerts où Beth imposait sa présence comme, sa voix de diva, comme personne, montrait son cul au public et se lançait dans des reprises inoubliables de George Michael (son idole de toujours), de Tina Turner ou d’Aaliyah. Une séparation heureusement vite rompue trois ans plus tard avec une tournée mondiale organisée à l’occasion de l’anniversaire de Music For Men, de loin leur meilleur album à ce jour.  

Un retour en fanfare 

Et puis, alors que le groupe n’a pas sorti de nouveau morceau depuis quatorze ans, on apprenait, l’automne dernier, que Gossip était de retour, un nouvel album, Real Power, dans ses bagages. Annoncé par trois singles qui retrouvent à merveille ce mélange de guitares électriques et d’envolées disco, ce mix de punk et de soul, Real Power, hommage au roi des punks Iggy Pop produit par l’immense Rick Rubin, ouvre le son Gossip vers des ambiances plus contrastées et adultes, mélangeant brûlot enflammés et balades romantiques, clins d’œil appuyés vers la soul et le blues et tentatives plus expérimentales. Un disque qui signe le retour du trio en beauté où on retrouve, avec toujours autant de bonheur, toute l’énergie et la générosité militante de Beth Ditto. Celle qui, la quarantaine assumée, est devenue entre temps le role-model de toute une génération d’artistes queer (Planningtorock, Sam Smith, Troye Sivan, Lil Nas X…) à qui elle a largement montré la voie et ouvert le chemin. Merci encore. 

Gossip : « Real Power » (Columbia). Sortie le 22 mars.

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