Alors que la 3e saison de Drag Race France va bientôt être diffusée, Paloma, la 1ère grande gagnante du show de RuPaul made in France revient en exclusivité pour Strobo sur cette aventure hors du commun. Découvrez la Queen comme vous ne l’avez jamais vue dans une confession sans concession.
Pour le Clermontois qu’est Hugo Bardin, sa famille hyper intello, hyper curieuse et férue d’art, est loin du drag. « En fait, j’étais un peu mondain et ça me plaisait mais mon truc c’était le théâtre je ne sais pas trop d’où ça vient d’ailleurs parce que personne n’en faisait chez moi », explique Hugo/Paloma. « Ça n’a jamais été un problème dans ma famille au contraire, ma mère a très vite compris que je ne serais pas heureux si j'étais bridé ». C’est justement sa mère qui lui souffle l'idée de suivre des cours. Du plus loin qu’il s’en souvienne, il suit déjà des cours d’éveil et enchaîne tous les ateliers possibles jusqu’au conservatoire. Au collège-lycée avec option théâtre, il fait aussi partie d’une troupe qui doit s’arrêter. Mais Hugo ne manque pas d’air et d’ambition. « Vers 14-15 ans je suis allé voir le directeur de l’établissement avec une lettre de motivation et j’ai dit voilà je ne veux pas d’argent, je veux reprendre la direction de l’atelier théâtre. Il me confie les rênes et ça a duré trois ans durant lesquels j’ai monté des spectacles chaque année dans l’établissement », sourit-il. Hugo est tellement obsédé par le monde du théâtre qu’il passe son temps à dessiner costumes, décors plutôt que de bachoter. Il se demande encore par quel miracle, il a obtenu son bac. Arrivent les cours Florent à Paris. Comme depuis son plus jeune âge, il fréquente les planches, il devient un personnage référent. Mais le côté scolaire ne lui convient pas plus ici qu'à l’époque du lycée. Il préfère apprendre seul. Curieux par nature, il passe son temps à effectuer des recherches dès qu’il se passionne pour un sujet au point de ne pas dormir pendant plusieurs jours pour tout savoir, tout comprendre, tout maîtriser. Résultat des courses, il n'est pas un très bon élève à Florent, par contre il avoue : « j’y suis allé comme ça pour avoir la vie de bohème, pour m’amuser, pour créer un réseau, pour faire des potes ce que j’ai fait. Et dès la première semaine de cours, j’ai directement monté une troupe en parallèle et j’ai monté des spectacles à côté de l’école. On ne se refait pas. »
Artiste multiple
Mais le drag a toujours été là ! Depuis tout petit, il se déguise en bricolant ses propres costumes afin de se transformer en diseuse de bonnes aventures, en espionne, en Milady de Winter... Le costume a toujours fait partie des raisons pour lesquelles il faisait du théâtre. Tout ce qui a trait au monde de la scène l’intéresse que ce soient les décors, les costumes, les accessoires. Mais lui, aime faire, concevoir, créer : « j’ai toujours eu envie comme à chaque fois que quelque chose me fascine, de le faire par moi-même, j’ai besoin de mettre les mains dans le cambouis ». Lorsqu’il monte des spectacles il choisit lui-même les costumes, puis la perruque arrive dans la foulée avec la coiffure et le make-up. « Tout ce que je fais dans le drag aujourd’hui, je l’ai fait professionnellement mais séparément à plein de moments dans ma vie. J’ai toujours mis du drag partout ça veut dire que quand je devais maquiller des comédiens au théâtre, je faisais des contouring de drag queen, quand on me demandait de faire des perruques de Marie-Antoinette, elles étaient forcément too much. Les femmes dans mes spectacles étaient souvent très drag », se souvient-il. Jusqu’au jour où il se rend compte qu’il doit passer de l’autre côté du miroir. « Et à partir de moment où j’ai commencé à faire du drag, j’ai un peu allégé mon travail comme si je n’avais plus besoin d’autant mettre de trucs sur les autres ».
Just be a drag
Quand il commence à faire véritablement du drag, personne n’est surpris. À y regarder de plus près, il en a fait un peu dans sa vie à plusieurs reprises. « À 17 ans dans un spectacle à la Comédie de Clermont, j’avais déjà eu des passages à l’acte complètement assumés, sans aucun a priori sur le sujet, personne en faisait à ce moment-là, ce n’était d’ailleurs pas du tout populaire et j’avais aucun scrupule à le faire », précise Hugo. Il récidive au cours Florent. C’est aussi l’époque où « à 18 ans, quand tu fréquentes le Marais, tu te rends compte que si tu n’es pas avec le crâne rasé, barbu, chemise de bûcheron ben, tu dénotes. Les drag queens déjà commençaient un petit peu à déserter les bars tout en ayant s’interrogeant sur leur survie dans le milieu ». Toutes ces petites choses font que naturellement, il se demande à son tour s’il y a une réelle place pour le drag, sans forcément relier tout ça à une vision politique ou à une identité. Tout ce qu’il sait, c’est que le drag l’attire.
L’étincelle
2009, RuPaul’s Drag Race débarque ! « J’ai commencé à regarder 2-3 ans après son arrivée sur les plateformes du fin fond de l’internet. C’était très divertissant mais je me disais que ça pouvait être une démarche artistique compatible avec mes ambitions de cinéma, de théâtre ». A la même époque, Hugo traverse une crise existentielle où il veut absolument rentrer dans la norme, faire plaisir à tout le monde, être viril, trouver un mec, ne pas faire de vagues, avoir du boulot parce qu’il comprends à ce moment-là que « si j’étais trop différent je n’arrivais pas à bosser ». Entre l’envie du « je me normalise » et son côté fan de RuPaul’S Drag Race, son cœur balance. L'arrivée de la drag Jinkx Monsoon (NDR -gagnante de la 5e saison de RuPaul’s Drag Race), suivie de Bianca del Rio (NDR -gagnante de la 6e saison de RuPaul’s Drag Race) et enfin Sasha Velour (NDR - gagnante de la 9e saison de RuPaul’s Drag Race), la conforte dans ses envies. « Je me reconnais dans cette dernière, je vois que ce qu’elle veut faire, qui elle est et je me rends compte que c’est totalement compatible avec ce que moi je veux faire. Elle a un succès fou et je pense que Sasha a été la première Queen à avoir autant déchaîné les passions », se remémore-t-il. Ça lui donne envie d’écrire un court-métrage sur le phénomène drag. Il écrit Paloma qui n’a aucune autre ambition que celle d'être un personnage pour un film.
De la fascination à la réalité
Sur un clip, une rencontre change la donne. Une fille qui fait du drag l’informe qu’elle a une troupe et lui propose de faire une perf à Caen dans une église désacralisée le 31 octobre 2018. Il y va ! C’est le choc ultime, une révélation ! « Je fais deux performances et en fait je m’aperçois que je n’ai jamais été aussi à l’aise sur une scène, que je m’éclate, que toutes mes peurs même que j’avais emmagasiné en tant que comédien à force de plus me sentir légitime, là plus rien, le public adhère à ce que je fais ». Il poursuit sur sa lancée avec la troupe et enchaîne des scènes ouvertes. La rencontre avec King Chefs & Drag Queens sera déterminante. En l’espace d’un an et demi, il se professionnalise. C’est ici qu’il va véritablement mettre le pied à l’étrier pour Drag Race France. Ses sketches et son travail d’écriture ont dû plaire au staff de Drag Race lorsqu’il est venu voir le spectacle. L’audition est annoncée, il postule. « The rest is history ! », sourit-il.
Les prémices de Paloma ?
A la base, Paloma n’est qu’un personnage de fiction. A l’époque, il a une tocade pour Pete Burns : « je me suis donc inspiré de petites brunes avec des looks très new wave avec un peu de Mylène Farmer bien sûr, un petit peu de Rossy de Palma, une touche de Bonnie Tyler et de Cher. Cela a fait un cocktail version brune incendiaire années 80 avec un côté un peu show girl mais dark ». Une fois le court-métrage réalisé, il se rend compte qu’il n’a pas du tout envie de n’avoir qu’une seule identité en tant que Paloma mais plutôt de changer souvent car l’intérêt du drag c’est de pouvoir se métamorphoser tous les jours. Donc quand il prépare Drag Race, il se créé une identité un peu plus forte et se construit autour de la couleur rousse et en fait c’est à ce moment-là pour lui le drag prend tout son sens lorsqu’il réalise que ce qui lui donne envie, c’est de faire des looks, de créer des numéros à travers toutes les héroïnes de son enfance c’est-à-dire Milady de Winter, Mylène Farmer, Lady Oscar, le chevalier d’Éon, Fantômette, Signé Cat’s Eyes… En gros des inspirations ancrées dans une thématique de femmes androgynes années 80 qui joue sur l’identité homme-femme, sur le genre avec un truc un peu d'époque très Barry Lindon.
En route pour Drag Race France
Tout est arrivé du jour au lendemain. Trois jours avant il est en train de faire le montage d’une fiction sur des sorcières au Moyen-âge. Lorsque Drag Race arrive comme un cheveu sur la soupe. « Je ne me suis même pas dit que c’était une option quand j’avais postulé. J’avais toujours voulu le faire, ça aurait été complètement incohérent de pas y aller et en même temps tu te dis, mais dans quelle galère tu vas te foutre. Si tu te viandes, c’est fini ! Si ça marche mais que l’émission est naze, tu vas devenir une de ces personnalités qui a fait de la télé, qui a fait des mauvais choix et qui sera has-been ou je ne sais pas quoi. »
Bouger les lignes
Et là devant lui, le Service Public veut faire un beau programme. Hugo réfléchit et se dit : « tu peux contribuer à ce changement, tu peux participer à casser cette frontière qu’il y a entre le drag et le reste du monde. J’y suis donc allé et la prépa a été la plus heureuse de ma vie ». Préparer Drag Race, c’est excitant confie-t-il : « je faisais des choses que j’aimais, je concevais des costumes, j’écrivais des textes, j’étais dans le concret de mon métier c’est-à-dire de fabriquer quelque chose comme fabriquer un film. J’ai trouvé ça incroyable, j’ai adoré chaque minute j’étais triste quand ça s’est arrêté. J’avais envie que ça continue ». Après il y a eu un temps d’attente qui passe comme une flèche où il ne fait que préparer son avenir jusqu’à la sortie, et là, c'est un raz de marée. Il n’avait pas anticipé le succès et que ça allait autant marcher pour lui. À sa grande surprise pour la première fois de sa vie, « j’ai fédéré quelque chose sans précédent ».
Ouvrir la voie
Le groupe de Drag Race France 2022 est en train de faire quelque chose qui allait changer nos vies, qui était sans précédent dans l’histoire de la télé française et de l’Histoire queer. Alors oui, c’est un programme éducatif qui allait devenir une référence pour toute une communauté qui n’avait aucune forme de représentation. Tout d’un coup, il y a un programme TV fait pour les queers, par les queers et qui est en plus sur le Service Public, avec de l’argent public, un symbole fort pour toutes les générations qui peuvent désormais « se dire c’est bon, on a un espace à nous, même si c’est du divertissement et que c’est une fois par an, ça reste quand même les jeux olympiques queer chaque année », ponctue Paloma.
Engagements
Quand on lui met cette couronne sur la tête c'est un choc. « Oui il y a un côté Miss France, on va me donner micro, je vais devoir parler mais qu’est-ce que je vais dire ? Rien n’était préparé et puis surtout je ne m’étais pas dit : quel va être mon discours une fois que j’aurai gagné, je n’allais pas faire shab, (NDR - faire semblant) ! Hors de question ! », argumente la Drag avant de reprendre « tout d’un coup je me suis dit non mais en fait ce n’est pas pour ça que les gens m’aiment et qu’ils se sont intéressés à moi mais parce que je suis sensible et que je sais m’exprimer. C’est con mais je suis une personne blanche privilégiée et ce privilège m’oblige d’être conscient de cette position. Ensuite, je ne suis pas une personne trans racisée pour qui ça va être beaucoup plus compliqué. Je reste un mec blanc qui vient d’une famille bourgeoise qui a de l’éducation ; ça serait complètement égoïste, ingrat et peu reconnaissant par rapport au public, par rapport à l’émission qui m’a porté que de ne parler que de moi, de mes petites ambitions, de pousser ma carrière. Donc c’était évident qu’il fallait que je sois un porte-parole et en plus de ça je sais très bien qu’en tant que personne blanche qui sait s’exprimer c’est beaucoup plus facile pour moi de me faire entendre, c’est un fait. »
Ambassadrice
Être là pour ses adelphes (NDR - correspond aux sens figurés de frère et sœur, notamment en contexte queer), là pour cette génération, pour les autres et chaque minute d’antenne compte dès qu’il peut parler, il s’exprime. Il y a bien évidemment des sujets sur lesquels il n’est pas à l’aise parce qu’il ne maîtrise pas tout, parce qu’il ne se sent pas légitime, parce qu’il n’est pas une personne trans, ni une personne racisée et qu’il ne peut et ne veut prendre la parole pour une femme bien qu’il soit féministe. Alors, il s’arrange pour orienter le discours vers des questions qui sont liées à sa communauté. Parler de nos luttes, de notre manque de représentation, ne pas dépolitiser son discours nourrit chacune de ses prises de parole. La présence d’une drag queen dans un média est de fait un acte éminemment politique.
Multifacettes
Dans Paloma au PluriElles, ce n’est ni Hugo qui parle, pas plus que Paloma, ce sont toutes les facettes de Paloma, toutes les femmes, toutes les formes de féminité qui l’ont conduit à Paloma qui se dévoilent. Paloma dans sa pluralité. « Et j’ai fait exprès de ne présenter que des personnages féminins qui ne sont ni aimables ni sympathiques et surtout pas politiquement correctes. Ces femmes sont parfois méchantes, parfois racistes, parfois homophobes, parfois antiféministes, parfois réacs. J’essaie de représenter tout ce qu'il y a de pire dans notre époque et en même temps raconter tout ce qu’il y a de plus beau chez les femmes parce que moi elles me fascinent. Je n’ai pas voulu faire un spectacle gentil sur des femmes fascinantes. J’ai volontairement voulu faire un spectacle où je joue de la manière la plus sincère des femmes qui ne sont pas des femmes parfaites, qui peuvent être touchantes mais aussi détestables », examine-t-il. L’avantage de jouer des personnages permet d’éveiller le sens critique du public. Le drag est une forme d’art un peu poil à gratter, un peu politiquement incorrect, un peu borderline. « Je joue clairement à l’équilibriste parce que la frontière immense entre ce que je fais dire à mon personnage et ce qu’on peut me prêter d’avoir volontairement dit. Le plus intéressant, c’est aussi que tout ce show est de la matière vivante qui change tous les jours en fonction de l’humeur, de questionnement personnel… »
L’avenir de Paloma
« J’ai envie d’utiliser l’entité Paloma pour des choses qui ont du sens, que ce soient des prises de parole un peu plus politiques ou artistiquement engagées », annonce Hugo. Paloma s’aventure dans le milieu musical. Elle enregistre un album qui devrait arriver courant d’année 2024. Justement le 7 mars vient de sortir P.A.L.O.M.A, un titre réalisé avec Rebeka Warrior et Raumm qui s’accompagne d’un clip visible depuis le 12 mars. « Si je fais de la musique, c’est avant tout pour faire des clips. Mon ambition au départ est de faire de l’image, encore une fois peut-être que c’est un point commun que j’ai avec une grande chanteuse que j’adore. Ce premier titre m’a permis de faire un clip très ambitieux avec des effets spéciaux, maquillage, des danseurs, un décor, des costumes qui puisent dans quantité d’inspirations passant de La fiancée Frankenstein au Cinquième Élément, à Docteur Folamour, forcément à Mylène Farmer, tout autant qu’aux films d’horreur des années 80 et au cinéma des années 2000 ». Jamais il ne s’autoriserait à faire de la musique mais Paloma c’est un peu sa Mylène à lui. C’est en effet une grande surprise la musique. « Je me sens légitime parce que c’est elle, parce que c’est un personnage, parce que je crée un concept autour d’elle et je pense que ça va devenir un personnage avec qui je vais aller voir plus loin. Hugo quant à lui continue sa route tandis que Paloma file sur des chemins de traverse. » Et dans les tuyaux, il y a aussi une série, des spectacles, des projets d’émissions, une bédé qui sort en septembre autour du spectacle Paloma au PluriElles, qui poursuit son chemin un peu partout sur scène.
Paloma l’émancipateur d'Hugo
Hugo se cache moins derrière Paloma. « Je pense que j’ai compris que les gens aimaient Paloma mais aussi Hugo » confesse-t-il. « Beaucoup de drag queens, de drag kings, de drag queers ont du mal aussi à sortir de leur personnage parce qu’ils ont l’impression que leur « personnage civil » est moins intéressant, moins glamour, parce que c’est une communauté avec des gens qui ne rentrent pas dans les cases normatives. C’est pour cela que je fais très attention à Hugo, à sa santé, à ne pas tout offrir à Paloma. C’est important aussi quand je me démaquille que je m’apprécie quand je me vois dans la glace. J’ai hâte parfois d’enlever le masque parce que mon personnage n’ira ira nulle part si le véhicule qui l’aide à voyager ne va pas bien. C’est important que j’aie une vie privée qui soit épanouie c’est important que j’ai d’autres choses que le drag. C’est important aussi que je ne m’enferme pas dans des trucs qui ne sont liés qu’au drag », poursuit Paloma. Dans cette question de quête d’équilibre et de tempérance qui n’est pas facile pour lui, aujourd’hui Hugo a tout autant à apporter à Paloma qui à son tour a des choses à dire et à vivre. Tout se construit en parallèle : « je ne me dis pas que c’est soit l’un soit l’autre, c’est juste un binôme dont je suis fier.e ! ».
Crédits photos : Jean Ranobrac/Pauline Privez/Valentin Folliet