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Abandon de la PMA par la gauche : histoire d’une erreur politique

Xavier Héraud

On aurait pu fêter cette année les 10 ans de la PMA. On aurait même pu la célébrer l’an dernier, en même temps que l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Alors que s’est-il passé? Retour sur cette décision qui a fait perdre 8 ans aux femmes françaises.

L’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules n’était pas une promesse de campagne à proprement parler du candidat François Hollande. Elle ne figurait pas dans le programme officiel. Le fameux « Engagement 31» n’évoquait que l’ouverture du mariage et de l’adoption. Mais interrogé en avril 2012 sur la PMA par Têtu, celui qui était alors candidat socialiste à l’élection présidentielle s’y était dit favorable. Alors à l'époque, beaucoup y croient et rêvent d’une loi qui ouvrirait à la fois le mariage et la PMA. Ministre déléguée à la famille, Dominique Bertinotti y semble favorable 

Leurs espoirs sont douchés en septembre 2012 dans un premier temps par la ministre de la Justice, Christiane Taubira, lorsque celle-ci évoque dans le journal La Croix les grandes lignes de la future loi dite du mariage pour tous :  « Notre projet de loi ne prévoit pas d’élargir l’accès à la procréation médicalement assistée. Je vois bien, dans le cadre des consultations que nous menons avec l’ensemble de la société civile, que cette question revient souvent. Certains y sont hostiles et d’autres favorables, mais notre projet de loi est très clair : l’accès à la PMA ne rentre pas dans son périmètre. » Officiellement, la loi d’ouverture du mariage aux couples de même sexe est co-pilotée par Dominique Bertinotti et Christiane Taubira, mais c’est la seconde, qui a plus de poids politique et un ministère plus important, qui prend l’ascendant. 

Bras de fer avec les députés

Commence alors un bras de fer avec les députés du groupe socialiste à l’Assemblée, divisés sur la question, mais majoritairement favorables à la PMA. Puisque la mesure ne figure pas dans le texte préparé par le gouvernement plusieurs député.e.s font part de leur intention de déposer un amendement ouvrant la PMA aux couples de femmes lorsque projet de loi arrivera devant l’Assemblée. Dans un entretien au quotidien Métro, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, se dit « personnellement favorable à ce que la PMA soit accessible à tous ». Mais elle interroge : « Faut-il le faire d’emblée ? Donner le temps du débat peut permettre de réfléchir en terme d’éthique, de bioéthique. Mais la question ne doit à aucun moment être considérée comme taboue ».

Dans le livre qu’il a co-écrit avec la journaliste Charlotte Rotman, La bataille du mariage pour tous (Books) le député PS Erwann Binet, qui sera rapporteur du projet de loi, écrit : « Ni moi ni ceux qui travaillent sur le projet de loi n’ont compris l’arbitrage du gouvernement consistant à ne pas mettre la PMA dans le projet de loi. Tous les pays qui disposent du mariage pour tous, à part le Portugal, ont également ouvert la PMA pour les couples de femmes, qu’ils aient légiféré en même temps ou antérieurement. » 

Le mirage de la « loi famille »

Pour calmer les députés, le gouvernement dégaine un nouvel argument. La PMA sera bel et bien proposée, mais dans une loi « famille » qui regroupera diverses questions. Le 12 décembre, François Hollande fait pourtant mine de laisser les mains libres aux parlementaires : « Si j’avais été favorable [à l’intégration de la PMA dans la loi du mariage pour tous], je l’aurais fait intégrer dans le projet de loi. À ce stade, j’ai considéré que c’était le mariage et l’adoption. Mais si le Parlement – et je crois qu’il y aura des propositions d’amendements – décide d’aller dans le sens de la procréation médicale assistée, le parlement est souverain. »

Mais en coulisses c’est bel et bien l’option « loi famille » qui est favorisée par le président. Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l’Assemblée, finit par céder. Dans un entretien au Figaro, il affirme qu’avec l’annonce d’un projet de loi sur la famille, l’amendement PMA dans la loi mariage devrait être abandonné. « Nous pensons que c’est dans ce texte [sur le mariage pour tous les couples] qu’il sera le mieux mis en œuvre mais si le gouvernement nous propose un autre texte avec un échéancier, nous sommes prêts à continuer la discussion ». 

La loi famille est initialement prévue pour le mois de mars. Le 24 janvier, réuni en session plénière, le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) s’autosaisit de la question de la PMA. La mesure devient donc suspendue à l’avis — facultatif — du comité. Le 25 janvier, à quelque jours de l’ouverture des débats à l’Assemblée, Dominique Bertinotti annonce que la loi Famille contiendra effectivement la PMA. Quelques jours plus tard, elle est recadrée sèchement par Jean-Marc Ayrault : « Elle ne peut pas dire ça, dans la mesure où elle ne connaît pas la date de réponse du Comité consultatif national d’éthique », tance le Premier ministre.  

A l’Assemblée où les débats ont commencé depuis fin janvier, la droite tourne en boucle sur la PMA et la GPA, qu’elle agite comme des épouvantails. Face à la mollesse de l’exécutif sur la question, Bruno Le Roux menace : « Si la loi sur la famille devait arriver demain sans qu’il y ait ce texte sur la PMA à l’intérieur, à ce moment, le groupe prendrait ses responsabilités pour faire en sorte que la chose puisse être discutée ici ».

Du report à l’abandon en rase campagne

Le 6 février, Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement, annonce que la loi Famille sera présentée en fin d’année avec la PMA. En attendant, l’ouverture du mariage aux couples de même sexe est votée, puis entre en vigueur. Le gouvernement se fait toujours évasif sur la PMA, en s’abritant derrière l’avis du CCNE, qui arrivera on ne sait quand. La fin d’année passe… et toujours pas de loi Famille ou de PMA. Le 3 janvier sur RMC et BFM TV, Dominique Bertinotti indique que la PMA ne sera pas dans la loi sur la famille.

Le 6 janvier, quelque 200 personnes, à l’appel des collectifs LGBT Fières et Oui Oui Oui, manifestent près du ministère de la Famille, non loin des Invalides, pour exiger que le gouvernement tienne ses engagements sur la PMA. Sur la banderole principale, du rassemblement on peut lire « Qui a peur de la PMA? »

Le 9 janvier, quarante député.e.s UMP déposent une proposition de loi pour interdire la PMA aux couples de lesbiennes. La proposition vise à « interdire toute intervention médicale ayant pour but de concevoir un enfant à la demande de deux personnes de même sexe ».  Et puis c’est la débandade, le 3 février 2014, au lendemain d’une énième « Manif pour tous », Matignon enterre la PMA et la loi Famille. Le lendemain, le CCNE indique à Mediapart qu’il rendra finalement son avis en 2015. Le 31 mars, après une défaite cinglante de la gauche aux élections municipales, Jean-Marc Ayrault démissionne. Il est remplacé par le très conservateur Manuel Valls. Laurence Rossignol succède à Dominique Bertinotti au ministère de la famille. Fin avril, un an après le vote du mariage pour tous, la nouvelle ministre affirme que la PMA n’est plus à l’ordre du jour. Propos confirmés quelques jours plus tard par le nouveau Premier ministre, depuis le Vatican, où il est en visite. Il ajoute que le gouvernement s’opposera à tout texte ou amendement sur la PMA « jusqu’à la fin de la législature ». La manif pour tous a gagné. Il n’y aura pas de PMA pendant le mandat de François Hollande. 

Les regrets de François Hollande

Le CCNE rendra finalement son avis le 25 septembre 2018, cinq ans après s’être « auto saisi ». François Hollande n’est plus président. Son impopularité l’a empêché de se représenter. C’est Emmanuel Macron, son ancien ministre de l’économie qui lui a succédé et c’est lui qui fera voter la PMA en 2021. 

Après la fin de son mandat, François Hollande a reconnu que l’abandon de la PMA était l’une de plus grandes erreurs de son quinquennat. Dans une interview à 20 minutes en 2023, il a déclaré:  « Je regrette profondément qu’il n’ait pas été possible de le faire voter avant la fin du mandat car je sais ce que ça a représenté pour beaucoup de femmes qui attendaient depuis longtemps de pouvoir disposer de la PMA.» Plus récemment, il s’en explique dans le livre de Sonia Tir, Sortir du placard - LGBT en politique (Fayard) : « On ne pouvait pas mettre la PMA dans le même texte que le mariage puisque le mariage relève du code civil et la PMA du code de la santé publique, donc il fallait faire un autre texte. Je considérais que nous avions déjà franchi une étape très importante et que si on remettait le débat tout de suite là-dessus, il y avait un côté, disons, de conflit qu’on ne voulait pas ouvrir dans le temps. Donc j’ai voulu faire une pause.» Il y a des pauses aux allures de renoncement.

Photos: Xavier Héraud

Cet article a été publié dans Strobo n°28

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