Le 23 février, Erwann Le Hô revêtira à nouveau les habits du maître de cérémonie pour la cinquième édition de Lou Queernaval. Un rôle que ce militant de longue date, aujourd’hui coordinateur du Centre LGBTQIA+ de Nice, va endosser avec gourmandise. Strobo mag dresse son portrait.
Erwann Le Hô a mis une chemise ce jour-là. En fin d’après-midi il doit en effet accueillir le député européen Pierre Karleskind au Centre LBGTQIA+ de la Côte d’Azur. Un peu surpris que l’on veuille faire son portrait, il se prête tout de même volontiers à l’exercice, lors d’un déjeuner sur la Place du Pin, qui accueille chaque année les célèbres Dolly Party.
Rien ne prédestinait le récent quadragénaire à vivre sur la Côte d’Azur. Il a grandi à en Bretagne, près de Rennes. Si beaucoup comprennent très jeunes qu’ils ont une attirance pour les personnes de même sexe, ce n’est pas son cas : « J'ai été, je pense, un gamin complètement asexuel. Et je n'ai jamais eu de conflit avec mes parents. Je me suis toujours bien entendu avec eux. Je n'ai pas eu de crise d'adolescence. Je travaillais très bien à l'école. Et la chose qui me passionnait, c'était ce que j'apprenais à l'école. Je faisais plein de trucs, comme le journal du lycée. J'étais très différent du coup des autres. J'étais passionné de politique, d'actualité. À 15 ans, je détonnais un petit peu par rapport aux copains. »
Flash sur le serveur de la crêperie
Il découvre son homosexualité d’un coup, à 19 ans. « Un mois avant la rentrée universitaire, j'étais parti faire du tourisme avec une copine. Sur une île bretonne, l'île aux moines, dans le golfe du Morbihan. On va à une crêperie et j'ai un flash sur le serveur. Un très beau garçon brun aux yeux bleus, très souriant. En quelques minutes, il s'est passé plein de choses dans ma tête. Je me suis rendu compte que je pouvais être amoureux. Que je pouvais avoir du désir. Et en plus, je me suis rendu compte que, en fait, je suis gay. Ça m'a beaucoup chamboulé. Quelques jours après, je lui ai fait un courrier. « Monsieur le serveur de la crêperie… ». J'ai écrit ce qui m'arrivait. Il m'a répondu et c'est devenu mon premier petit copain. Et voilà comment j'ai commencé ma vie amoureuse à 19 ans. C'était en 2003. »
Dès 15-16 ans, il s’initie à la politique. Il milite à gauche localement, avec le parti socialiste. L’éveil au militantisme LGBT vient un peu plus tard, suite à refus de don du sang brutal. « Mon papa était donneur de sang. Et moi, j'avais envie de donner mon sang. Je me rends à l'époque à l'établissement français du sang. Très naïvement, sans avoir aucune connaissance de quoi que ce soit, en ayant une vie amoureuse stable, je remplis le formulaire. J'ai un entretien avec un médecin, qui relit mon questionnaire, qui me pose des questions. Et qui me demande : « Mais la personne avec qui vous vivez, c'est un garçon? » Je réponds que oui. Elle ferme très brutalement le dossier et elle me dit : « on ne va pas aller plus loin ». Elle a été très très dure. Elle m'a lancé : « écoutez, bon, vous avez essayé de passer en douce. Surtout, n'essayez pas de revenir. Parce que dans les fichiers de l'établissement français du sang, vous êtes fiché maintenant, comme homosexuel. » Je suis sorti et j'ai pleuré sur tout le chemin de retour à la maison. »
Au même moment, un ami qui fait de la radio universitaire lui propose de faire un podcast sur les thématiques gay. Ils montent ensemble un podcast intitulé Homo Erectus : « Ça a super bien fonctionné. Un des premiers sujets, c'était une interview de Jean-Luc Romero à l'époque sur cette thématique du don du sang. J'ai fait de la radio pendant deux, trois ans. Et le militantisme est venu après. Je me suis dit, mais pourquoi est-ce que je n'irais pas plus loin ? Pourquoi est-ce que je ne m'investirais pas ? »
Il pousse la porte du Centre LGBT
Il pousse donc la porte du Centre LGBT de Rennes en 2009. Il rencontre le président qui lui apprend que ça ne se passe pas très bien au Centre. Par ailleurs, la Pride est dans un mois et il ne serait pas contre un coup de main. « Tous les deux, on a remonté cette pride en un mois. Et on s'est éclaté. On ne connaissait pas évidemment les situations. On a tout appris en un mois. Et une fois qu'on a fait la pride, on a décidé de relancer le Centre, qui n’était plus très attractif. Donc, on a mobilisé une petite équipe. On a fait des travaux de peinture. On a changé le logo. On a fait une nouvelle inauguration. » Il devient vice-président, puis président. C’est l’époque du mariage pour tous. Il se mobilise avec les autres associations et collectifs de Bretagne pour coordonner des participations aux manifestations, en mobilisant notamment deux cars pour rejoindre à Paris la grande manifestation pour l’égalité du 27 janvier 2013.
Et surtout entretemps, il a reçu un coup de fil qui va changer sa vie. En février 2022, le magazine Têtu le contacte pour un sujet sur la vie gay en Bretagne. « Le journaliste appelle. Et on se donne rendez-vous dans un bar qui n'existe plus aujourd'hui dans le centre de Rennes, qui s'appelle le Chat qui pêche. Moi, je pensais que c'était un journaliste de Têtu qui allait arriver de Paris. En fait, pas du tout. Il était journaliste pour Nice Matin et faisait des piges en plus pour Têtu le week-end. Et, comble du hasard, il était breton d’origine. Et c'est un flash complet. On devait rester une heure à échanger. On est restés trois heures. Lui et moi, on avait pourtant déjà une vie amoureuse à cette époque-là. Et ça a tout chamboulé. Je suis descendu le voir ici, en avril. C'était un truc un peu incroyable qui se passait. Et on a fait un an de relation à distance. » A ce moment-là — il n’a pas encore 30 ans, il décide de quitter sa vie bretonne pour rejoindre son compagnon dans le sud: « J'ai trouvé un boulot en 3-4 mois. Un CDD, un remplacement d'attaché de presse à la mairie, auprès du maire. Et j'ai tout quitté pour m'installer avec lui ici. C'était en novembre 2013. On a fêté 10 ans. » Et la belle histoire se poursuit : ils vont se marier l’été prochain.
Chassez le naturel…
Même si l’opportunité est belle, il trouve étrange, étant de gauche, d’être engagé par un maire très à droite, Christian Estrosi : « Quand j'en ai reparlé avec le maire quelques mois après, il m'a dit qu’il avait ça en tête, qu'on lui avait constitué un dossier, mais qu'il m'avait aussi embauché pour ça, parce qu'il aimait bien ne pas être entouré que de gens similaires.» En arrivant à Nice, ce militant né ne tarde pas à replonger : « Je suis arrivé ici en me disant maintenant tu vas te consacrer à ton mec, à ta vie, à toi et à ton nouveau boulot. Et le militantisme, tu as fait ta part. » Mais chassez le naturel… Erwann finit par se rendre au Centre LGBT de Nice. « On sortait de l'époque mariage pour tous. Donc, c'était une transition pour tout le monde. Avec le président de l’époque, Henri, on s'est bien entendu tout de suite, avec les équipes aussi. A l’assemblée générale d'après, en 2014-2015, je suis devenu vice-président. Et puis, celle d'après, Henri s’est arrêté. J’ai été élu président en 2016, je crois. »
Avec ses fonctions militantes, il peut s’apercevoir que la vie LGBT n’a pas grand chose à voir avec celle qu’il connaissait à Rennes. « A Rennes, les mouvements LGBT se sont construits par la vie sociale, les luttes. C'est une ville très ouvrière, très étudiante. Moi, j'apparaissais très modéré, d'ailleurs, dans cet environnement. Et ici, la vie LGBT, elle ne s'est pas structurée de la même façon. J'ai l'impression qu'ici, l'empreinte gay, elle est plus née de gens qui ont investi dans des établissements, dans des cafés, dans des boîtes, et qu'ensuite, le militantisme est venu de là. Et puis la vie militante n'est pas du tout inscrite dans le même contexte politique. La ville de Rennes est à gauche depuis 1977. Ça fait 20 ans que la Bretagne est à gauche, le département aussi. Tandis qu'ici, c'est un autre contexte. »
Nice, plus libérale que réactionnaire
Pour lui Nice n’est pas tant réactionnaire que « libérale, économiquement mais aussi socialement, sociétalement ». Il donne un exemple : « Au moment du mariage pour tous, à Rennes, quand il y avait une manifestation contre le projet de loi Taubira, il y avait 20 000 personnes dans la rue, 10% de la population était dans la rue. C'était une agression dans les rues qui était d'une ampleur hallucinante. Et les copains qui étaient ici à Nice me disaient, ici quand il y a une manif contre le projet de loi, il y avait 100, 200 péquins. Alors que tu es dans la cinquième ville de France. Il y a une sorte de libéralisme ici de dire, globalement, on s'en fiche un peu de ce qui se passe, de l'homosexualité, avec qui on est, avec qui on couche. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de réactionnaires. Mais je trouve que c'est bien plus complexe que ça, ce qui explique que politiquement on travaille plutôt bien. »
Simplement, on ne milite pas de la même manière : « Tu ne peux pas être positionné pareil, en tout cas, si tu veux faire des choses. Il ne s’agit pas de baisser d'un ton, mais de faire autrement. Ici, le centre a ouvert ses portes en 2011. Et je me rends compte qu'aujourd'hui, on est soutenu financièrement par la ville, le département, la région, mais parce qu'on est des gestionnaires rigoureux. Et que le boulot, qui est celui de la lutte contre les discriminations, de l'accompagnement individuel des personnes ou autres, il est fait. Et c'est comme ça qu'on est reconnus. Et ça ne nous empêche pas du tout de porter des positions militantes. » A ceux qui pourraient lui reprocher de se compromettre avec une droite dure, il répond : « Je trouve que l'éternel débat dans cette communauté, c'est la pureté. Moi je préfère être considéré comme moins pur mais de produire des choses pour ma communauté. Aujourd'hui entre l'argent privé qu'on va chercher et l’argent public, on a un centre LGBT ouvert 6 ou 7 jours sur 7 avec des salariés, pas un centre qui repose uniquement sur du bénévolat et donc ouvert uniquement de 18h à 20h.»
Vie militante et vie professionnelle ne font plus qu’un
Au bout de quelques années, sa vie professionnelle et sa vie militante finissent par se rejoindre, comme une évidence. Après sept ans passés au service de presse de la mairie, il devient directeur de cabinet d’un nouveau maire, à La Trinité, pendant deux ans. Il raconte la suite : « Une opportunité s’est présentée: avec le Centre LGBT, on a décroché des fonds privés pour expérimenter le centre de santé sexuelle qu'on voulait ouvrir en janvier 2022 [Le 8, Baquis]. Et on s'est dit qu’on n’allait quand même pas pouvoir le gérer de manière bénévole et qu’il fallait créer un poste de coordination, de direction. Et un soir, je rentre chez moi, et je me dis: « mais en fait, c'est à moi de faire ça ». Mon boulot me prenait tellement de temps, j'avais moins de temps pour le militantisme, et ça me frustrait. Et ce projet était tellement énorme, je me suis dit qu’il y a des trucs qu'il ne faut pas louper. »
A l’été 2022 il devient donc coordinateur au Centre LGBT à la fois pour le Centre et le 8, Baquis, qui aujourd’hui ne désemplit pas. « Ça m'éclate au plus haut point, parce que j'ai vraiment la latitude gérer ce centre de santé et le développer », s’enthousiasme-t-il. Parmi les projets qui lui tiennent également à cœur, il y a notamment le lancement prochain de La Maïoun de Cathy [pour Cathy Richeux, alias Cathy Kfé, une figure de la vie niçoise décédée en 2023], un projet d’hébergement pour jeunes LGBT en difficulté de logement.
Lou Queernaval, la modernité du carnaval
Et puis il y a ce petit pas de côté par rapport à sa vie militante. Il va rempiler comme maître de cérémonie pour la cinquième édition de Lou Queernaval, l’événement queer du carnaval de Nice, le 23 février prochain. Un rôle qu’il tient depuis le début. « C'est typiquement le projet qui ne peut avoir lieu que dans cette ville, explique-t-il Parce qu’il y a une communauté associative, qui est présente, nombreuse, une municipalité plutôt bienveillante pour accueillir ce genre de manifestation et des établissements commerciaux qui fonctionnent derrière. Et en plus, ce que te disent les vieux caciques du carnaval ici, c’est que l'essence même du carnaval, c'est le chamboulement. On change de genre, on change de classe sociale. Et que le Queernaval, c'est la modernité du carnaval. »
Le rôle d’animateur de cette manifestation lui permet de sortir de son rôle de militant habituellement plutôt sérieux. « Une fois, on m'a posé la question, si tu pouvais recommencer, est-ce que tu serais pas hétéro, si tu pouvais choisir? Et en fait, je me dis que non, parce que je trouve que ça me donne un prisme de regard sur la société, sur les relations hommes-femmes, sur les discriminations, sur les oppressions, que je n'aurais jamais eues si j'avais été un mec hétéro, blanc, classique. Ça m'aurait échappé. »
« Et je trouve que cette communauté permet ça, ajoute-t-il. Et que ce moment-là, en particulier ici, autorise ce genre de chose. Et moi je revendique le fait de pouvoir être sérieux en chemise à parler aux maires pour défendre un projet et en même temps à porter des paillettes et des talons aiguilles et à être complètement folle. Je revendique le fait de dire que c'est possible de le faire et que c'est utile de le faire parce que ça continue de défricher pour ceux qui suivent derrière. »
Photos: Xavier Héraud
Cet article a été publié dans Strobo n°28
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