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Noam Sinseau, la nouvelle star du stand up

Xavier Héraud

Et si l’avenir du stand up, c’était lui ? Avec son spectacle « Makoumè Superstar », le martiniquais Noam Sinseau insuffle un vent de fraîcheur salutaire au genre. Rencontre.

Pourquoi vouloir être une star quand on peut être une superstar? L’humoriste Noam Sinseau a créé le spectacle Makoumè superstar (“makoumè” est l’équivalent de « pédé » en créole). Il l’a rodé pendant quatre dates à l’Appart de la Villette en décembre et le présente fin janvier à La Nouvelle Seine à Paris, avant de le faire tourner. Il y raconte sa vie avec un mélange détonant d’humour, de poésie, de danse et d’émotion. 

L'histoire de Noam commence en Martinique, où il est né il y a 25 ans. Il grandit dans la commune du Macouba, tout au nord de l’île. Il décrit son enfance comme « chaotique ». « Je vivais ça avec beaucoup de légèreté, même si c'était quand même assez dur, complète-t-il. A l'école primaire, je pleurais tout le temps, tous les jours, et c'est un truc qui m'a marqué de mon enfance, parce que je me suis fait beaucoup insulter quand même. Mais j'avais déjà à l'époque pris une sorte de force de toutes ces choses-là. Dès que je suis arrivé au collège, j'ai essayé de passer au-dessus de toutes ces insultes et vivre en étant heureux, en étant un clown, parce que j'avais beaucoup d'amis. Et je faisais rire tout le monde juste parce qu'il fallait trouver une manière de quand même vivre dans tout ça. »

L’humour est donc présent chez lui très tôt. Mais précise-t-il, il n’avait aucunement l’intention d’en faire son métier : « C’était même pas forcément être drôle, mais être quelqu'un de solaire pour que les gens soient contents d'être avec moi. Avoir cette envie de toujours apporter le positif autour des gens autour de qui j’étais. » Il prend conscience de son attirance pour les garçons vers 12 ans, mais reste globalement seul avec ça. Il commence à rencontrer des personnes queers au lycée à Sainte Marie et peut commencer à vraiment s’assumer en terminale, où il se retrouve dans une classe avec 6 autres personnes queers. 

 

Départ pour Paris

Mais c’est son départ pour Paris qui lui donne un véritable élan de liberté : « Je suis arrivé à Paris le jour de mes 18 ans. C'était un soulagement. Un sentiment de liberté. Et ce n'est même pas pour rentrer dans des envolées poétiques que je dis cela. C'est vraiment ce qui s'est passé à ce moment-là. J'avais un poids qui se relâchait. Je me disais, enfin, je vas pouvoir commencer une nouvelle page de ma vie. » 

La fac lui fournit un premier lieu d’émancipation : « J'étais très accepté dans la famille, dans ma fac, j'étais l'une des personnes qu'on voyait le plus. Il y avait un truc où je disais vraiment tout le temps que j'étais gay. C'était tellement pour moi surréel de pouvoir dire ça, comme ça, sans qu'il y ait de problème. Je pense que j'ai généré de l'homophobie, parce que j'en parlais trop ! ». En revanche, s’il ne sent plus le poids de l’homophobie, il commence à expérimenter celui du racisme. Les profs lui reprochent notamment son fort accent antillais. Contraint de faire  des exercices de diction pour ne pas être pénalisé, il finit par perdre son accent. « C’est une des choses que je regrette le plus. J'ai perdu une partie de mon identité. », dit-il avec tristesse. 

 

Le choc du voguing

Il lui manquait peut-être un lieu pour s’épanouir pleinement et il finit par le trouver avec la ballroom scene, où se pratique notamment le voguing. Vers le mois de mai 2018, il est invité à un training de la House of Ladurée (devenue la House of Owens depuis). C’est un choc : « J’ai tout de suite adoré. Je suis arrivé au training. J'ai rencontré Mother Rheeda. J'ai rencontré Bambi, Madame B. Enfin, des gens qui sont ma famille aujourd'hui. Et j'étais en mode, waouh. Je ne sais pas ce que c’est, mais je veux aller là-bas. » Spontanément, il se trouve un nom : Mary-Jo, et ne réalise qu’après coup, que c’est une référence à sa mère, qui s’appelle Marie-Joana. 

Après avoir fait son bout de chemin dans la catégorie European Runway, où, pour résumer, l’on doit défiler comme un mannequin (« je peux te montrer tous mes trophées! », nous lance-t-il fièrement)., il finit par fonder sa propre kiki house [une house en quelque sorte mineure, par opposition aux « major houses »], la kiki house of Savage. Que ce soit à travers sa house ou les balls qu’il organise, le but est pour lui d’apporter un petit plus, un message, un peu plus militant, un peu plus politique. Il fait aujourd’hui partie de la House of Balenciaga, mais s’est un peu éloigné de la scène: « La ballroom, ça aide à te construire, tu y puises des choses et puis après, il faut t'en servir dans ta vie de tous les jours pour pouvoir justement avancer dans ta vie. Et c'est ce que j'ai fait. J'ai pris tout ce que la ballroom a de bon. Et aujourd'hui, j'ai pu bâtir une carrière grâce à ça. »

 

 

Du podcast au stand up

Cette carrière dont Noam parle, c’est le stand up, qui occupe désormais une place centrale dans sa vie. Depuis le début de l’année 2023, il a d’ailleurs cessé toute autre activité pour s’y consacrer pleinement. « Je ne pensais pas être humoriste un jour, mais je pense que c'était un truc latent parce que j'ai toujours adoré regarder des vidéos du Montreux Festival, où il y avait beaucoup de Anne Roumanoff, de Florence Foresti, beaucoup de Gad Elmaleh, explique-t-il. Je regardais tout le temps Comédie Plus à la télé quand j'étais ado. J'adorais regarder du stand-up. »

Il se fait d’abord remarquer sur Twitter avec ses threads humoristiques et surtout grâce à son podcast Stronger, qui parle de discrimination et donne la parole à des personnes minorisées, pour lequel il reçoit un prix de la ville de Paris. Lors du discours de réception du prix à l’Hôtel de ville, il fait un petit discours avec des blagues. On le remarque. « Une humoriste qui s'appelle Marine Baousson qui me suivait sur Twitter et qui avait vu mon passage sur scène m'a proposé de faire un mini passage de 5 minutes pour présenter mon podcast comme je l'avais fait à l'Hôtel de ville, sur son plateau d’humour organisé par Madmoizelle Magazine, qui s’appelait One Mad Show. C'était en 2020. Et j’ai dit oui. Je me suis dit bon, je vais rajouter des blagues parce que c'est un plateau d’humour. Et en fait, c'est super bien passé. »

En sortant de scène on lui propose une date, puis une autre…  En 2021, l’humoriste lesbienne Tahnee lui propose d’intégrer la troupe du Comédie Love, qui officie à La nouvelle Seine. Le Comédie Love c'est un collectif de stand-up queer et féministe qui se veut bienveillant. Il raconte: « Je n’avais pas d’expérience, mais elle a vu quelque chose en moi. De là, j'ai commencé à faire du stand-up une fois par mois. Et à l'époque, avoir une date par mois pour moi, c'était juste ouf. » Maintenant qu’il a le pied à l’étrier, il lui faut « rechercher un style, faire des blagues, tester des choses ». Et tout s’enchaîne : « Après, Shirley Souagnon m'a proposé d'intégrer la bande du Barbès Comedy Club qu'elle avait à l'époque. Elle m'a proposé de faire ma première émission sur Canal Plus en stand up. Tout a été très vite. Et je me suis pris de passion pour ça. »

 

« Les mecs hétéros se passent les dates entre eux »

Si l’humour LGBT commence à être bien représenté en France, de Tristan Lopin à Shirley Souagnon, en passant par Tahnee, Yohann Lavéant et bien d’autres, Noam est le seul humoriste noir et gay.  « C’est un sujet », reconnaît-il. « C'est vrai que je me suis fait la remarque et je me suis dit que c'était fou. Et le problème, c'est qu'en fait, déjà, je me suis confronté à de l'homophobie dans les premières scènes. Avoir des dates, c'est compliqué. Ça fonctionne vachement beaucoup au réseau. Bien sûr, les mecs hétéros se passent des dates entre eux. Du coup, nous on est obligés de se frayer un chemin pour avoir ne serait-ce qu’une petite date dans le mois pour travailler. On a vite compris qu'en fait, il fallait qu'on force les portes pour avoir notre place. Et moi je ne quémande pas. Dans le stand up, ça fonctionne comme ça. Ils veulent que tu souffres, pour mériter la place. Alors que moi, mon spectacle s’appelle « superstar »  pour une raison, je ne fais pas ça ! »

Alors, lui et sa bande, Tahnee, Mahaut ou Lou Trotignon, créent des plateaux queers et féministes comme le Comédie love, le Good girls comedy club, le Bad bitch comedy, qui invitent en priorité « des personnes queers, des meufs, des personnes racisées, pour qu'on puisse avoir notre place ».

L’idée dans tout ça est aussi de faire du stand-up inclusif. Ce qui ne va pas forcément de soi : « C’est un problème dans le stand-up, explique-t-il. Dans le milieu, beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi on veut faire du stand up inclusif. Ce n'est pas drôle d'être inclusif. Ce n'est pas drôle parce que vous n'allez pas faire de blagues. C'est pour ça que beaucoup d'humoristes passent leur temps à attaquer des trucs. Mais on peut faire des blagues sans attaquer des choses. On peut. »

 

Fatigue militante

Il se qualifie de militant, mais avoue avoir un peu levé le pied : « En 2018-2019, j'étais très militant. J'étais dans des associations. Je prenais la parole sur les réseaux. J'étais très actif sur les sujets et ça m'a fatigué. Après la période Black Lives Matter, avec la mort de George Floyd, le meurtre d'Adama Traoré… En fait, il y a eu tout ce truc-là où on était dans un climat en France qui était quand même très bizarre, très oppressif. Et ça m'a épuisé de devoir répondre à des gens qui n'avaient aucune envie de changer leur opinion, qui voulaient juste être problématiques. Et racistes, profondément racistes, avec peu d’arguments. »

Il s’est recentré sur lui-même pour se protéger, mais reste militant dans sa vie de tous les jours : « Je vais à la pride des banlieues. Si je fais quelque chose, il y a forcément un message derrière. Même quand on fait le Comédie Love, une partie des recettes est reversée à des associations. Si mon mec est problématique, ce n'est pas mon mec, tu vois. Maintenant, j'essaie juste d'utiliser mon entourage proche. Je me dis qu'en fait, la vie, c'est des cercles, qui s’agrandissent. Et si je touche le cercle qui est autour de moi, chaque personne de ce cercle va toucher le cercle autour d’elle et ça va créer d'autres cercles. » Peut-être mieux qu’une (super)star : un mec bien. 

Makoumè superstar, de et avec Noam Sinseau, mis en scène par Amiel Maucade, 31 janvier à La Nouvelle Seine

Photos: Xavier Héraud

Cet article a été publié dans Strobo n°27

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