En couple ou célibataires, les hommes gays sont nombreux chaque année à se lancer dans un parcours de gestation pour autrui. Force est de constater qu’avoir un enfant par ce biais n’a parfois rien d’une sinécure: problèmes médicaux, juridiques, retards ou parfois pire. Mais les nouveaux pères sont résilients. Nous vous présentons trois témoignages. Aujourd'hui: Julien et Antoine.
Chez Julien et Antoine, on est aussi accueillis par toute la famille, mais les chats remplacent les chiens. Comme Loïc et Yann, ce sont des mariés de l’an I. Antoine a 41 ans et Julien 45 ans. Le premier travaille dans le numérique à France Télévisions, le second est journaliste (notamment pour Strobo). Contrairement au couple précédent, les deux hommes ne veulent pas que des images de leur petite fille Ellie soient publiées. Vous ne verrez donc pas la bouille adorable d’Ellie, qui vous dévisage avec ses grands yeux et son petit sourire discret.
L’envie d’enfant d’Antoine et Julien se concrétise lors de leur mariage en 2013. « C'est Anne Hidalgo qui nous a mariés. Lorsqu’elle nous a remis le livret de famille, elle nous a dit une phrase : je vous souhaite d'en remplir les pages. Les pages étant sous-entendues, les pages des enfants. Et là, on s'est dit, il y a quelque chose de faisable. Ce n'est plus une utopie irréaliste », racontent-ils.
Comme Loïc et Yann, ils pensent d’abord à l’adoption mais réalisent vite que c’est mission impossible. Alors ça sera la GPA. Antoine: « On s'était renseigné sur comment ça fonctionnait aux Etats-Unis et au Canada. Il y avait un côté très mercantile aux Etats-Unis. On se disait que ça allait nous laisser un arrière-goût amer dans la bouche si on se lançait dans ce genre de choses. Il y a du profit qui est fait, et ça ressemble à une entreprise commerciale. Et on avait été plutôt rassurés par l'encadrement légal qui existe au Canada. On nous avait dit que ça prendrait plus de temps là-bas qu'aux Etats-Unis, mais c'était plus compatible avec les garde-fous éthiques qu'on souhaitait avoir. »
Un parcours de 6 ans
En 2018, ils signent avec une agence canadienne. Ils ne savent pas encore que leur parcours va durer 6 ans. « Ce qui n'est pas représentatif d'un délai moyen ni médian d’un parcours de GPA », précisent-ils. Une première mère porteuse se rend compte au moment de l’examen psychiatrique qu'elle n'est pas prête. Une donneuse se rétracte également. Une deuxième donneuse, au moment de prévoir son don, est diagnostiquée d’un cancer aux ovaires (ce qui fait qu’elle a pu être traité très tôt). Julien et Antoine trouvent une autre mère porteuse, mais dans l’Etat du Manitoba, qui à l’époque ne possède pas de loi par rapport à la GPA. Antoine raconte la suite: « Entre temps, on a trouvé une mère donneuse, qui est la mère biologique d'Elie. On est allés au Canada. On a fait notre don de sperme. C'était 2019, juste avant le Covid. Ils ont fait des embryons qui ont été cryogénisés. » Avec le Covid, tout s’arrête, pendant une bonne année et demi.
Puis la vie reprend. Antoine : « Au terme de ces un an et demi, quand les choses se sont ouvertes, tout le monde attendait. Des parents qui attendaient des mères porteuses. Des mères porteuses qui pouvaient de nouveau circuler librement. On a attendu, on a galéré. On a dû commencer à discuter avec notre mère porteuse début 2022. On a signé notre agrément avec elle en août 2022. Il y a eu une première tentative, sur laquelle elle a fait une fausse couche. Et une deuxième tentative qui a dû avoir lieu en novembre.» Cette fois, c’est la bonne. Ellie naît en juin 2023 à Hamilton, en Ontario. Comme Loïc et Yann, ils souhaitaient conserver un lien avec celle qui a porté leur enfant, comme l’indique Antoine : « Si on ne voulait pas de contact avec la mère porteuse, ce qui peut arriver, c'est notifié dans l'agrément. On peut demander à ne plus avoir de contact avec la mère porteuse. C'était pas du tout ce qu'on voulait. Mais ça force à poser les choses sur la table avec la mère porteuse dès le début. On a discuté longuement avec elle. On a convenu qu'elle serait une forme de membre de la famille. Qu'on expliquera progressivement à Ellie au fil du temps. D'abord on expliquera avec des mots simples. Et petit à petit jusqu'à ce qu'elle comprenne la totalité du parcours. » Du point de vue du droit, tout est en ordre, à une exception près. «Sous le droit canadien, nous sommes tous les deux parents, dit Antoine. On a un acte de naissance édité par l'État d'Ontario, reconnu par l'État fédéral canadien. Le nom de Julien et le mien. Le nom de la mère porteuse n'apparaît pas. Sur l'ensemble des papiers administratifs canadiens, nous sommes officiellement les deux parents. »
Les deux pères détaillent : « D'abord, il y a des conventions bilatérales entre la France et le Canada. Ellie est inscrite à la Sécu. Elle compte comme une demi-part pour les impôts pour nous.
Elle est couverte par notre assurance. Elle est inscrite à notre mutuelle. La mairie la reconnaît. Ils reconnaissent les papiers canadiens. Elle n'est pas inscrite sur notre livret de famille. Elle n'a pas la nationalité française. Pour l'héritage, ça peut être compliqué. On est à cheval sur deux législations.» Nous, on travaille avec un avocat français. Le plan, c'est qu'en plus de l'acte de naissance canadien, on va demander au tribunal d'Ontario une déclaration de parentalité. Visée par un tribunal en Ontario. Sous le regard de la loi canadienne, ça fait double emploi avec le certificat de naissance. Eux, ils s'en foutent. Par contre, ça nous permet, une fois qu'on l'obtient, que notre avocat assigne en justice le procureur de la République pour lui demander de reconnaître l'acte juridique canadien, l'acte de reconnaissance de parentalité, sous le droit français.» Ils attendent actuellement un jugement.
Un apprentissage du quotidien
Chez eux aussi, les galères passées ne comptent plus vraiment maintenant qu’Ellie est là. Julien : « C'est trop mignon ! Il n'y a rien de forcé, il n'y a rien de bizarre à cette situation. Peut-être parce qu'on est dans un process qui a mis du temps et qu'on ne peut pas dire que nous ne voulions pas être parents. C'est quelque chose de très réfléchi. Et notamment parce que, lorsque ça dure aussi longtemps, si un couple ne tient pas, il n'y a pas de raison à ce que ça aboutisse. Nous, ça fait 6 ans qu'on se tient au parcours. »
Tous les deux, alors qu’Ellie se fait entendre un peu plus : « Elle nous aide beaucoup. Elle fait ses nuits depuis deux semaines. Elle ne pleure quasiment jamais. Quand elle crie, c'est tout nouveau. On a discuté à la fois à la maternité, avec la PMI, tout le monde nous a dit que nous étions chanceux. On n'a pas à se plaindre. C'est un apprentissage du quotidien. Maintenant, on est comme tous les parents. Le fait qu'elle soit née par GPA, ça n'a plus aucune importance. Ça aura de l'importance dans son histoire personnelle quand on le lui expliquera. Mais maintenant, on est comme tous les parents, on fait des vaccins, on change des vêtements, on se lève la nuit s'il y a besoin. On essaie de déceler ce qui va et ce qui ne va pas. C'est tout à fait naturel. »
Avant qu’on arrête l’entretien, Antoine tient à rappeler qu’il faut avoir les reins solides financièrement pour se lancer dans une GPA. Et penser aux frais imprévus qui ne manqueront pas de faire grimper la facture. Julien, lui, veut communiquer son bonheur : « C'est une longue démarche. C'est un long parcours. On apprend beaucoup. Mais le bonheur d'être parent, c'est juste magique. Ça nous a amené à aller voir des choses intéressantes, notamment la Family Pride en mai dernier à la Cité fertile. C'était tellement beau de voir la diversité des familles et toutes ces petites têtes qui gambadent partout. C'est génial ! »
Photos: Xavier Héraud
Cet article fait partie d'un dossier publié dans Strobo #25