Queer tubes : Read My Lips de Jimmy Somerville

musique - Queer tubes : Read My Lips de Jimmy Somerville
Patrick Thévenin

Premier album solo de Jimmy Somerville, Read My Lips est réédité avec de nouveaux remixes, des démos inédites et des raretés, en bonus. L’occasion de se plonger dans le tube Read My Lips, flamboyant coup de gueule contre l’inaction des gouvernements face à l’épidémie de Sida.

1989, Jimmy Somerville a 28 ans et il est déjà une pop star. Une icône ouvertement gay et mondialement connue pour son look de red-skin - jean délavé moulant et retourné sur des Doc Martens, cheveux rasés de près, t-shirt moulant - copié par tous les jeunes gays en quête de visibilité radicale. Quelques années plus tôt, avec Bronski Beat, son premier groupe, il a réussi à conjuguer spleen et hédonisme, de la balade lacrymale de Smalltown Boy, qui narre la fuite d’un jeune homo pour la grande ville où il espère pouvoir à être lui-même, à Why ? tube post-disco en forme de célébration du pouvoir de la danse. Mais Jimmy n’est pas un garçon facile , tête butée, clubber invétéré, caractère de cochon, activiste qui n’a pas l’intention de la fermer, son aventure avec Bronski Beat ne durera que le temps d’un album. Un The Age of Consent , dont la pochette, incorporant le fameux triangle rose de la déportation homosexuelle, est devenu avec le temps un manifeste sonore d’émancipation.

Aussi gay qu’il est de gauche, révolté par le traitement subi par les mineurs du Nord de l’Angleterre par Margaret Tatcher, de toutes les manifestations gay, Jimmy joint son travail à la lutte en créant avec Richard Cole, musicien venu du classique, les Communards dont le nom se référant à la Commune de Paris ne doit rien au hasard. Duo plus soul et disco, alors que Bronski Beat jouait dans la cour de la new-wave, les Communards vont être le groupe qui va permettre à Jimmy de concilier la musique et la lutte. Le duo abordant de front l’homosexualité, les premières victimes de l’épidémie de Sida, le féminisme, au sein de compositions originales ou de reprises de tube disco, comme le Never Can Say Goodbye  de Gloria Gaynor ou le Don’t leave me this way de Thelma Houston. Des hymnes gays émancipatoires de la parenthèse enchantée du disco, qui avec l’épidémie de Sida qui débute, se sont transformés en bande son de la résilience face à l’adversité. Pourtant, malgré deux albums à succès, et une poignée de tubes installés dans les hit-parade, une tournée assistée d’un orchestre féminin pour lutter contre le machisme de l’industrie musicale, le duo splitte en juin 1988, laissant la porte ouverte (elle l’est toujours) à une éventuelle reformation. Mais Jimmy est déjà ailleurs, entouré de la fine fleur des jeunes producteurs de l’époque - les mêmes qui travaillent avec New Order ou les Pet Shop Boys - il entame sa carrière solo avec Read my lips. Un disque personnel et profondément engagé, dont le titre emprunte à un slogan du collectif new-yorkais et queer Gran Fury, qui travaille étroitement avec Act Up, et dont Jimmy est un membre actif. Constitué de deux reprises, le Comment te dire adieu ?  de Françoise Hardy et le  Mighty real  de Sylvester, de ballades sentimentales comme de pulsions dancefloor, l’album est traversé par la colère de Jimmy face à l’inaction des politiques et du système de santé vis-à-vis du drame qui s’annonce avec l’épidémie de Sida. Très engagé dans la lutte, il va multiplier les dons à Act Up New York, comme payer le loyer de l’association pendant un an. Jimmy fait de l’album Read my lips , son tube éponyme et la vidéo poing brandi qui l’accompagne, sa déclaration de guerre à la maladie, tout en multipliant les concerts autour du monde pour sensibiliser au VIH. Dont un live en 1992, désormais inoubliable, donné au profit d’Act Up-Paris lors d’une immense soirée donnée au Cirque d’Hiver. Un événement qui résonne encore dans la mémoire de nombreux militants de l’époque et que Robin Campillo, le réalisateur de 120 Battements par minute, a songé un temps incorporer dans son film.

34 ans plus tard, Read my lips , avec sa mélodie irrésistiblement sautillante et ses chœurs disco, qui n’a rien perdu de sa superbe, ni de sa pertinence, résonne comme un torch-song toujours puissamment engagé. Comme l’explique l’écrivain et activiste Paul Burston : « cinq années se sont écoulées depuis « Smalltown Boy ». Jimmy a passé une grande partie de ce temps à New York, où il a vu de ses propres yeux les ravages du sida. Il a perdu des amis et des amants. Selon ses propres termes, « Smalltown Boy était beaucoup plus subtil, émotionnel, un plaidoyer plus attentionné, alors que Read my lips » était du genre « cette fois, on ne prend plus de gants »»

 

 

 

 

 

 

 


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