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Le jour où la droite a eu la peau du pacs

Xavier Héraud

Il y a 25 ans, le 9 octobre 1998, s’écrivait une page peu glorieuse de la lutte pour l’égalité des droits. Alors qu’elle est minoritaire à l’Assemblée Nationale, la droite parvient à faire échouer la proposition de loi visant à créer le pacs. Même s’il ne s'agit au final que d’un contretemps, l’épisode aura galvanisé les esprits et laissera des traces.

 

La droite exulte. Au sein de l’Assemblée Nationale, les députés de l’opposition se lèvent et crient leur joie. Certains brandissent des t-shirts colorés où il est inscrit en capitales « PACS OUT ». Cette soirée du 9 octobre 1998, les partis de droite, pourtant minoritaires à l’Assemblée, viennent d’avoir (temporairement) la peau du pacs. 

Nous sommes un peu plus d’un an après la victoire de la gauche aux élections législatives de 1997. Le socialiste Lionel Jospin dirige un gouvernement de coalition avec les écologistes et les communistes qu’on appelle la gauche plurielle. L’idée de créer un statut juridique pour les couples de même sexe est sur la table depuis les années 90. La gauche, qui avait inscrit cette mesure à son programme, doit maintenant mettre son engagement en œuvre. Pour cela, le gouvernement a choisi de laisser l’initiative aux députés, avec une proposition de loi qui doit créer un pacte civil de solidarité (pacs).  

Boutin et sa bible

Ce 9 octobre, nous sommes au premier jour des débats. La matinée est consacrée aux prises de paroles des rapporteurs de la proposition de loi, de la présidente de la commission des lois, de la ministre de la Justice, puis des différents porte-paroles des groupes parlementaires. C’est d’ailleurs pendant l’intervention de la ministre, Elisabeth Guigou, qu’une députée alors inconnue, Christine Boutin, brandit une bible au sein de l’hémicycle. Le geste de cette députée très catholique, dans un pays supposément laïc, fera beaucoup parler. Sur les bancs des commissions, les rapporteurs Jean-Pierre Michel, Patrick Bloche et la présidente de la commission des lois Catherine Tasca s’inquiètent de la faible présence des députés de gauche. Puisqu’eux-mêmes ne peuvent quitter l’hémicycle en cours de séance, ils font appel aux huissiers, qu’ils chargent de remettre des mots aux collaborateurs parlementaires afin que ceux-ci tentent de faire venir leur député.e en séance. A la fin des prises de parole, à 12h30, le président du groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault, demande une suspension de séance, espérant gagner un peu de temps. Le président de l’Assemblée, Laurent Fabius, la lui accorde. Les débats reprendront à 15h.  

A la reprise des débats, c’est le député vert Yves Cochet, vice-président de l’Assemblée Nationale, qui préside la séance. Saisi par l'opposition, il met au vote une motion d’irrecevabilité puis procède au vote à main levée. Et commet un beau lapsus. Au bout de quelques secondes, il annonce tout d’abord que « l’exception d’irrecevabilité n’est pas adoptée ». Sous les huées de l’opposition, il corrige : « je reprends ma parole. L’exception d’irrecevabilité est adoptée ». A la stupeur générale, la droite remporte une victoire inespérée. C’est seulement la deuxième fois dans le Vème République que la majorité perd une telle motion. 

A la sortie de séance, l’ambiance est électrique. L’opposition jubile. La majorité ne peut cacher son embarras. Dans la salle des quatre colonnes, Noël Mamère, député écologiste se dit « accablé et un peu honteux de voir que la majorité plurielle n’a pas été capable de faire voter un texte dont elle était pourtant à l’origine ». Plus tard, le maire de Bègles, qui célèbrera le premier mariage entre deux hommes en France en 2004 (qui sera annulé par la justice), déclarera que les députés de gauche « n’ont pas voulu rentrer dans leur circonscription et dire qu’ils ont voté pour les pédés ».

Du côté des associations qui se sont battues pour faire arriver ce texte devant le Parlement, l’émoi est considérable. Les militants ne cachent pas leur incrédulité et leur dégoût. Une manifestation est organisée quelques jours plus tard à Paris. Têtu, dans son numéro de novembre (le n°29) affiche en couv un visage fermé en gros plan, barré d’un « Colère » en lettres majuscules, avec comme sous-titre « pacs : la lâcheté de la gauche ».

Un gouvernement pas très enthousiaste

Comment expliquer cette débâcle ? Il est vrai que le débat a commencé le vendredi, un jour où les députés ont l'habitude de rentrer en circonscription. Mais d’aucuns s’accordent à penser que le problème est plus profond : la gauche a un peu honte du pacs. Jusqu’ici Lionel Jospin, le premier ministre, n’a défendu que mollement la mesure et la ministre de la Justice, Elisabeth Guiguou, ne brille pas par son enthousiasme non plus.  

Dans leur livre L’incroyable histoire du pacs (Kero), Patrick Bloche, Jean-Pierre Michel et Denis Quinqueton (alors membre du Collectif pour le pacs) reviennent en détail sur cet épisode. Pour eux, la lâcheté ou l’homophobie ne suffisent pas à expliquer ce vote. Ils avancent une autre théorie. Cette proposition de loi, notent-ils, « ne s’annonçait pas comme une joute politique majeure ». En cette fin 1998, l’attention quotidienne des députés de la majorité était plutôt retenue par une grève dans les transports publics, un ministre de l’Intérieur dans le coma à la suite d’un choc allergique (...), une grève des lycéens, la mise en œuvre des 35 heures ou celle des emplois jeunes.« Par ailleurs, ajoutent-ils, beaucoup de ces députés étaient effectivement rentrés dans leur circonscription. Au final, estiment les trois auteurs, la cause de la défaillance de ces députés absents n’est pas l’expression d’une hostilité particulière, mais plus prosaïquement le désintérêt — qui n’est pas plus excusable.»

Le texte est redéposé quelques jours plus tard. Il est définitivement adopté un an après, le 13 octobre 1999. Les députés de gauche n’ont effectivement plus jamais fait défaut lors des différents votes. Mais la victoire du 9 octobre 1998, bien qu’éphémère, aura déchaîné la droite, qui pendant tous les débats s’est permise les pires outrances. 

Pour Patrick Bloche, Jean-Pierre Michel et Denis Quinqueton, cet épisode malheureux aura pourtant été « décisif » pour le pacs. « Comme personne ne croyait à l’importance de cette modification de notre Code Civil, le pacs aurait pu se faire dans une relative discrétion, l’opposition n’envoyant que ses seconds couteaux. Mais cet épisode a transformé ce débat parlementaire en débat politique central, devenant un objet de controverse récurrent, autour duquel les médias se mobilisent. C’est paradoxalement la chance du pacs et c’est ce qui en fera son succès. »

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