Grande gagnante de Drag Race France, saison 2, Keiona succède à Paloma. Mais qui est vraiment cette queen qui a marqué les esprits par ses multiples talents et son sérieux ?
Keiona, nouvelle reine de France ! Au terme d’une finale en public, au Grand Rex, la drag queen a été désignée vainqueure de la deuxième édition de Drag Race France. Elle était opposée en finale à Sara Forever, Mami Watta et Punani. Après un lipsync sur Titanium, de David Guetta, face à Sara Forever, Paloma, gagnante de la saison 1, lui a remis sa couronne et lui a passé le flambeau. Nous l’avons interrogée en plein marathon d’interviews post-victoire. L’occasion de revisiter son parcours et de voir comment elle est parvenue au sommet du drag français.
Une enfance entre France et Côte d'Ivoire
La queen de 32 ans, qui se prénomme Kevin dans le civil, a grandi entre la France et la Côte d’Ivoire. C’est une figure de la ballroom scene (ou scène voguing) depuis les débuts de la scène en France il y a une douzaine d’années. Dans Drag Race on la connaît sous le simple nom de Keiona, mais dans la ballroom elle est Keiona Revlon, mother de la House of Revlon. Dans les balls, sa catégorie principale, c’est le vogue fem (la forme la plus “spectaculaire” du voguing), mais elle peut aussi défiler dans les catégories runway, face, etc. Bref, elle sait tout faire, ou presque. Alors que Drag Race France use et surtout abuse du mot « légendaire », elle est vraiment une « légende » dans la scène. C’est un statut qui est octroyé aux personnes qui se sont particulièrement illustrées dans leur catégorie et dans leur implication pour la communauté.
Aller là où il y a de l’argent
Si le milieu drag et la ballroom scene sont deux milieux distincts avec leurs codes et fonctionnement propres, quelques queens font des passerelles entre les deux. Keiona est désormais l’une d’entre elles. Elle a mis du temps à sauter le pas, mais ça c’est fait presque malgré elle. « C’est arrivé par la force des choses, raconte-t-elle. La ballroom est quand même très exposée. C’était écrit, ça devait arriver. On sait notamment que les gens de la mode suivent ce qu’on fait. Donc c’est un peu normal que nous aussi on ait envie de croquer dans cette pomme, d’aller chercher les bookings et d’aller là où il y a de l'argent. »
Elle souhaitait s’inscrire à la première saison, mais au même moment elle a été castée avec la House of Revlon pour la saison de Legendary, l’émission de télé-réalité américaine consacrée au voguing. Elle a préféré s’envoler pour les Etats-Unis d’abord pour mieux revenir ensuite. Le fait d’avoir fait Legendary l’a entraînée à la discipline nécessaire d’une émission de télé-réalité, les tournages, la vie en autarcie, les interviews, la promo, etc. Avec les autres membres de sa house, ils ont terminé troisièmes de ce qui aura été la dernière saison de l’émission, hélas jamais diffusée en France.
La deuxième saison de Drag Race France aura donc été la bonne pour elle. Elle n’y arrivait pas totalement en terrain inconnu, puisqu’elle connaissait déjà très bien l’un des membres du jury, Kiddy Smile, Mother de la House of Gorgeous Gucci, une house proche de la House des Revlon, dans la ballroom scene.
Kiddy Smile dans le jury : un « désavantage total »
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il ne s’agissait pas d’un avantage pour elle. C’était au contraire un « désavantage total », sourit-elle, avant d’ajouter : « c’est avoir quelqu’un qui vous connaît très très bien et depuis longtemps et qui sait exactement votre 100%, votre 300%, votre 50%. Lorsque le juge te connaît tu ne peux pas trop se cacher derrière un masque. Mais c’est très bien, ça m’a porté, ça m’a incité à être plus moi-même. »
Autrice d’un parcours quasi sans faute — 2 victoires et toujours placée dans les premières, elle est même parvenue à surmonter ce qu’elle savait être sa faiblesse: les challenges de comédie. « Les deux premiers épisodes, c’était une promenade de santé, se souvient-elle. Chanter, danser, je sais faire et c’est ce que je veux faire après le tournage aussi… Mais arrive le premier comedie challenge, “Le Croissant Show” et là je me suis dit qu’il fallait que je sois super smart pour le choix du rôle et ensuite voir comment je pouvais l’emmener physiquement et essayer au maximum d’être intelligemment drôle, d’être ridicule. Il faut clairement ne pas se prendre au sérieux et s’amuser. On s’amuse de soi et avec les autres. A la sortie du challenge, on ne sait pas trop comment on a réussi. Après, en le regardant, ça a été une bonne surprise. » Elle a même plutôt brillé en Afida Turner (qui a signifié son approbation sur les réseaux sociaux) pour son Snatch Game, le challenge le plus redouté de toutes les queens du monde.
Peut-être parce qu’elle n’était pas seule. Elle qui a l’habitude du soutien de sa house s’est trouvé en quelque sorte une nouvelle famille au sein du programme. « On était quand même onze et on était ensemble quasiment tout le temps, dit-elle. Pendant le tournage, même si ça ne se voit pas forcément à l’écran, il y a énormément d’entraide. Cette saison on l’a vraiment faite ensemble. »
Même lors de la préparation, elle dit avoir pitché ses idées avec sa house et avoir donné carte blanche aux designers. « Chaque look que je devais porter, je savais qui allait le faire et comment ». Le drag est définitivement un travail d’équipe.
Sereine et pudique
Alors que le format Drag Race, équivalent d’un décathlon en athlétisme, a épuisé par le passé plus d’une drag-queen — Moon a d’ailleurs choisi de quitter la compétition pour préserver sa santé mentale, Keiona a semblé sereine tout du long. Si à Drag Race la production est généralement friande des récits personnels très détaillés et si possible dramatiques, elle est restée pudique. Confiant tout juste des rapports compliqués avec son père et se félicitant du soutien de son mari. A l’extérieur, elle a bien sûr bénéficié du soutien de la ballroom scene, tout comme Mami Watta, qui en est également issue. On relèvera qu’elles étaient également les deux queens noires de la saison, avec tout ce que cela implique en matière de représentation, pour le public ou même pour les autres queens. Il y a quelques années, une soirée intitulée Black Xcellence avait même été créée dans le but de mettre en avant les queens racisés, qui souvent se sentaient isolées au sein de la scène drag mainstream.
« C’est un important qu’il y ait des queens noires, racisées, commente Keiona. Avec Mami Watta, on met déjà un premier pied dans la porte en participant à l’émission. Ça ouvre un champ des possibles pour d’autres queens qui ne se sentaient pas forcément représentées. »
Le message qu’elle veut délivrer en tant que gagnante ? « Je pense qu'il y en aura plusieurs, mais honnêtement je ne sais pas encore trop, hésite-t-elle. Tout ça est très récent. En tout cas, s’il y a un message ou une leçon à tirer de ça, c'est qu’il ne faut pas trop se limiter. Il ne faut pas avoir peur de l'ambition. Il ne faut pas avoir peur de vouloir réussir. C’est normal de vouloir réussir, de vouloir entreprendre des choses. Ce n’est pas vouloir dominer ou écraser les autres. C’est pour soi-même. »
Une collab avec Aya Nakamura ?
Et maintenant, que va-t-elle faire ? « Je vais sortir mon single en septembre, et là je manifeste de fou, mais peut-être quelque chose avec Aya Nakamura, reine à reine, ça serait pas mal ! », s’exclame-t-elle. Du côté de Drag Race, elle se verrait bien dans une saison des gagnantes. Elle aime à répéter qu’elle parle quatre langues : français, anglais, portugais et espagnol. A l’heure où les franchises se multiplient dans le monde entier, elle aura donc le choix. En attendant, vous pourrez la retrouver un peu partout en France dans la tournée Drag Race France Live, qui se joue à guichets fermés. Il est toujours bon pour une reine d’aller à la rencontre de ses sujets.