Queer tube : Carl Bean - "I was born this way"

musique - Queer tube : Carl Bean - "I was born this way"
Patrick Thévenin

Janvier 1975, alors que l’Amérique est en pleine explosion disco et ne pense qu’à s’amuser, Valentino, un jeune noir, repéré pour sa prestation dans la comédie musicale Hair, devient l’interprète de « I was born this way ». Un tube que l’histoire, mais elle peut se tromper, retiendra comme le premier track disco véhiculant un message d’acceptation gay aussi frontal. Il faut dire effectivement que le refrain « I’m happy - I’m carefree and I’m gay – I was born this way »  (Je suis heureux, je suis insouciant, je suis gay, je suis né comme ça, NDR), ne laisse aucune equivoque. Ecrit et composé par Bunny Jones, une femme noire hétérosexuelle et catholique convaincue, coiffeuse de formation qui au cours de sa carrière a cotôyé de nombreux gays et s’est sentie révoltée par la discrimination qu’ils subissaient, le morceau combinant tourbillon dansant et paroles émancipatrices, qui se veut le parfait accompagnement du mouvement de libération gay en train de se mettre en place, trouve son habitus naturel dans les boîtes gay de New York, San Francisco et Hollywood. Et Londres où il se place carrément numéro Un.  Vendu directement par Bunny Jones, à l’arrière de sa voiture, la première mouture de « I was born this way » s’écoule à plus de 1 5000 exemplaires et se taille une place de choix au rayon tubes queer et underground. Même si, comme l’expliquait à l’époque son interprète, dans les boîtes hétéros le morceau, même si apprécié, crisse aux entournures. « Quand il commençait, tout le monde se précipitait sur le dancefloor, se souvient Valentino, mais dès qu’arrivait le mot gay les danceurs stoppaient net. C’était très étrange de constater à quel point un seul mot pouvait irriter autant de gens, surtout qu’ils n’avaient qu’à vérifier dans le dictionnaire pour voir que gay signifiait heureux, insouciant, amical, vibrant and joyeux ! »

Repéré par le flair infaillible de Berry Gordy, le boss et fondateur de la célèbre machine à tubes qu’est le label Motown, le titre est adapté à un plus large public. Un trio de compositeurs haut de gamme qui ont déjà œuvré pour des standards du disco comme « Love sensation »  de Loleatta Holloway, « Let no man put asunder »  de First Choice ou « Love is the message »  de MFSB est commissionné. Nait de ces sessions d’enregistrement de luxe, qui tranchent avec la production brute du morceau chanté par Valentino, une version plus orchestrée (les chœurs de cordes irrésistibles dégoulinent comme du miel), flamboyante et rythmiquement addictive. Berry ayant la bonne idée de faire appel à Carl Bean, un chanteur de gospel noir et ouvertement gay, mais aussi profondément croyant, qui va endosser le rôle pas simple à l’époque de porte-parole de ce tube qui est loin d’être accueilli avec joie, on s’en serait douté, par  l’Amérique puritaine de l’époque. Pourtant malgré le succès du morceau, qui accompagne les premières Pride et voit son refrain devenir un slogan politique,  Carl Bean refusera les propositions de capitaliser sur le succès du morceau et d’enregistrer un album de disco entièrement dédié à la célébration de la liberté d’être gay, par peur de se voir enfermé dans une case, lui qui toute sa vie va s’engager autant auprès des LGBTQ+ croyants avec la création de l’Unity Fellowship Church Movement, un réseau d’églises qui accueille les LGBTQ+, que pour les malades du Sida, la liberté des homosexuel.les, ou les droits civiques des afro-américains, fidèle à sa devise « Dieu est l’amour et l’amour est pour tous.»  qui le suivra toute sa vie. Remixé de nombreuses fois, repris par Jimmy Somerville pour la B.O du film Another Gay Movie, samplé par le producteur Jacques Lu Cont (Madonna & co) pour son projet camp Pour Homme, cet anthem de la libération queer se verra consacré par Lady Gaga qui va clairement s’en inspirer pour son méga-tube « Born this way »  sorti en 2011 déclarant à l’occasion : « merci pour ces décennies d’amour incessant, de bravoure et de la nécessité de chanter. Ainsi, nous pouvons tous ressentir de la joie, car nous la méritons. Parce que nous méritons le droit d’inspirer la tolérance, l’acceptation et la liberté pour tous et toutes. » Personnage méconnu de l’histoire LGBTQ+, il a sorti sa biographie passionnante en 2010, Carl Bean s’est éteint en septembre 2021, à l’âge de 77 ans, laissant derrière lui des décennies de combats sans merci, histoire de rendre hommage à ce refrain, qui installé dans nos têtes n’en sortira plus : « I’m happy - I’m carefree and I’m gay – I was born this way ».


Partager:
PUB
PUB