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Alice Coffin, une féministe lesbienne en politique

Xavier Héraud

C’est l’une des militantes lesbiennes les plus importantes de l’hexagone. Depuis 2020, elle fait aussi de la politique au Conseil de Paris. Et cette année, elle se porte candidate au Sénat. Strobo dresse le portrait de cette battante féministe parfois lassée par la violence qu’elle doit affronter régulièrement.

 

Il y a foule en ce jeudi soir d’avril à La Maison, un bar du Boulevard de la Villette, et pas (seulement) pour boire un verre. Nous sommes à quelques encablures de la place du Colonel Fabien, siège historique du Parti Communiste, mais la réunion qui occupe le rez-de-chaussée de l’établissement concerne le parti Europe Ecologie Les Verts. Militant.e.s et sympathisant.e.s sont venus écouter Alice Coffin défendre sa candidature interne aux élections sénatoriales. La militante et désormais femme politique expose sa vision de la politique devant un auditoire conquis. Nous l’avons rencontrée quelques jours plus tard, afin de revenir sur sa vie, son parcours militant et sa nouvelle vie en politique. Elle qui connaît l’importance des médias se prête à l’exercice avec beaucoup d’honnêteté et son débit de parole caractéristique, à 100 à l’heure. 

Prise de conscience lesbienne tardive

Née à Toulouse en 1978 de parents ingénieurs aéronautiques, elle a grandi à Paris dans le XIIème arrondissement, dont elle est aujourd’hui une élue. Son éveil lesbien, elle le décrit comme « tardif ». « Pas tardif dans les sentiments et les émotions, ça a été toujours été là sans que je les traduise sous le terme de lesbienne, précise-t-elle. La prise de conscience s’est faite dans la deuxième partie de mes 25 ans. J’étais sortie avec des filles mais j’étais très ignorante de la culture lesbienne. L’entrée dans la vie lesbienne a été concomitante de l’entrée dans le féminisme. »

Il y a un premier déclic : le visionnage du film de Carole Roussopoulos, Debout, qui relate les actions du MLF en France et en Suisse : « je me suis dit que c’était la vie que je voulais vivre », dit-elle. Puis le second, c’est le collectif La Barbe. Les militantes de ce groupe féministe interviennent affublées d’une fausse barbe dans les lieux de pouvoir pour y dénoncer la mainmise des hommes. « Ça s’est lancé en 2008, je les ai rejointes en 2010, explique Alice Coffin. Ma mère y était déjà. Ça reste quelque chose de très matriciel. Ça alimente beaucoup de mes réflexions militantes, encore maintenant, ma pensée et ma manière d’agir. »

La Barbe inaugure une vie associative très riche. En 2012, alors que les débats du mariage pour tous commencent à être houleux, elle rejoint le collectif Oui Oui Oui, qui mène de nombreuses actions fortes et symboliques en faveur de l’égalité des droits. 

Dix ans plus tard, elle jette une regard attendri sur ce moment-là : « Oui Oui Oui, ça a été un immense déclic - et qui a influencé d’autres groupes ensuite, je crois - sur ce qu’on était capables de faire et sur la puissance qui pouvait émaner d’un groupe qui réunissait beaucoup d’activistes lesbiennes, féministes, antiracistes, des gens qui venaient de la lutte contre le sida, des combats trans. C’est Yuri, ma compagne aujourd’hui, qui avait lancé un appel pour Oui Oui Oui et l’idée c’était de se dire « on ne va pas tenir si on se tape tous ces trucs tous les jours à la radio, dans les rues, seul.e.s c’est insupportable ». Moi ça m’a permis de surmonter le traumatisme de ces mois-là. Cette période, c’est aussi les souvenirs de Oui Oui Oui et donc de la joie. » 

Journaliste à 20 minutes — où son féminisme passe mal, elle co-fonde en 2013 l’Association des journalistes LGBT. « C’est intéressant de voir que ça aussi, ça a été une émanation du mariage pour tous, note-t-elle. Créer l’AJL, ça  a été créer quelque chose de l’ordre de l’institutionnel, même s’il y a un côté activiste, mais pour créer un contre-pouvoir. » 

C’est en 2020 qu’elle acquiert une notoriété dépassant le cadre militant. En septembre, elle présente sa vision du féminisme dans un essai, Le génie lesbien. A sa sortie, le livre suscite un tollé médiatique. Si beaucoup saluent la justesse de ce livre parfois très personnel, les réactionnaires de tout poil s’emparent de quelques phrases extraites de leur contexte et les déforment pour mieux la vilipender. Ce tollé qui prend racine dans la misogynie et la lesbophobie justement dénoncées dans Le génie lesbien a quelque chose d’assez sidérant tant il est empreint de mauvaise foi. Laurent Ruquier, qui n’est pas en reste, finit par s’excuser publiquement… après avoir lu le livre. 

« La politique, ce n’était pas prévu »

Quelques mois plus tôt, Alice Coffin a également fait une entrée en politique remarquée. « La politique, ce n’était pas du tout prévu, indique-t-elle. EELV est venu me chercher pour la campagne des municipales 2020 à Paris. » Elle hésite longtemps. « Je n’étais pas persuadée de l’efficacité de la chose, j’avais limite peur de m’ennuyer, ce qui est absurde quand je vois comment ça se passe, se souvient-elle. J’ai accepté et je me rends compte que les réticences que j’avais, elles sont très construites, elles s’appuyaient sur un récit qui est faux. Ce n’est pas vrai qu’il y a à faire des concessions dans son discours, à agir différemment. En tout cas, moi je n’ai pas eu à le faire. »

En passant en quelque sorte de l’autre côté du miroir militant, elle se définit un style : « j’ai choisi d’aller vers des formes politiques qui sont très proches du journalisme et du militantisme. Mes interventions au Conseil de Paris sont toujours très travaillées, écrites comme un article. Mes collègues seront d’accord ou non, mais je vais leur apporter une information. Et en gardant aussi des techniques activistes, comme l’illustre ce qu’on a appelé l’affaire Girard. »

Dès son élection, elle dénonce en effet publiquement Christophe Girard, adjoint à la Culture, en raison de ses liens avec l’écrivain pédophile Gabriel Matzneff. Elle avait pourtant personnellement prévenu Anne Hidalgo lors de la campagne qu’une telle nomination serait un casus belli. Elle remporte le bras de fer. Après notamment une manifestation devant l’Hôtel de Ville, Christophe Girard doit se mettre en retrait et abandonner son poste d’adjoint. 

L’épisode se clôt avec une scène ahurissante au Conseil de Paris. Le préfet de Paris d’alors, Didier Lallemant, adresse un « salut républicain » à Christophe Girard. L’ensemble de la salle se lève, à l’exception principalement du groupe EELV. Alice Coffin crie « La honte ! La honte ! », avant qu’on lui coupe son micro, sous les huées de nombreux collègues. Pas de quoi l’impressionner. « Avoir fait des dizaines d’actions avec La Barbe apprend à ne pas être décontenancée quand survient quelque chose dans une assemblée et avoir une rapidité d’action. Et à ne pas avoir peur. », dit-elle aujourd’hui. Trois ans plus tard, elle poursuit son travail et ses relations avec ses collègues des autres partis se sont apaisées. Mais elle n’hésite pas pour autant à faire connaître ses désaccords, comme lors de la nomination d’Olivier Py au Théâtre du Châtelet, alors qu’initialement, cela devait se jouer entre deux femmes. 

Le coût de l’engagement

Même pour une activiste aussi aguerrie, l’engagement a un coût. Ses prises de parole, dans les médias ou les réseaux sociaux s’accompagnent régulièrement — pour ne pas dire systématiquement — de campagnes de haine et de harcèlement. A tel point qu’elle a dû être mise sous protection policière.  « Au début je pensais que ça n’avait pas trop d’impact, mais en fait si, soupire-t-elle. C’est extrêmement problématique qu’on  ne puisse pas s’engager en politique avec un discours féministe, en ne pouvoir tenir qu’avec des supports extérieurs. Donc non, je ne le vis pas bien, mais ça ne m’empêche pas de tracer. Mais ça modifie des choses, ça modifie ma prise de parole publique. » « Je ne sais pas comment je vais tenir, lâche-t-elle un brin résignée. Comme tentative d’éliminer quelqu’un vraiment, c’est très violent, c’est quotidien. A titre individuel ce n’est pas drôle, mais c’est un problème politique. » 

C’est d’ailleurs le sens de sa candidature au Sénat. « A une réunion de l’Observatoire des violences sexistes en politique, il y avait des femmes politiques de tous bords, sauf RN, et toutes avaient l’air de penser qu’elles n’allaient pas tenir très longtemps. Et moi en politique je pense qu’il faut d’abord faire masse, il faut être plus nombreuses. Et quitte à être là autant être le plus efficace possible, et évidemment on est plus efficace au niveau national qu’au niveau local.  » A l’heure où nous écrivons, l’examen de sa candidature est désormais entre les mains du parti écolo — dont elle n’est pas membre. 

La politique ne constitue pas toutefois l’alpha et l’omega de sa vie. Comme nombre de ses collègues, elle a gardé une autre activité. Pour elle, c’est l’associatif. Le lendemain de notre rencontre, elle s’envolera d’ailleurs pour le Kazakhstan afin de soutenir l’European Lesbian Conference, qu’elle a fondée. Comme une respiration militante avant de replonger dans le bain de la politique, au Conseil de Paris, ou peut-être bientôt au Sénat. 

Photos: Xavier Héraud

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