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5 choses que vous ignorez (peut-être) sur Stonewall

Xavier Héraud

Êtes-vous incollable sur Stonewall ? Vous avez sans doute entendu parler de cet événement qui a donné naissance au mouvement LGBT moderne et aux marches des fiertés. Mais en connaissez-vous les détails ? Lisez et vous serez peut-être surpris…

Avec la saison des prides, vous allez peut-être à nouveau voir fleurir les références à Stonewall. La pancarte « Stonewall was a riot  » (« Stonewall était une révolte  ») est d’ailleurs devenue un incontournable des marches pour les militant.e.s les plus engagé.e.s. Petit rappel des faits : fin juin 1969, trois nuits d’émeutes éclatent au bar Stonewall Inn à New York après une descente de police. L’événement donne naissance au Gay Liberation Front et en 1970 les manifestations commémoratives des événements de Stonewall deviennent les premières prides. Et surtout, Stonewall est désormais le symbole d’une nouvelle ère du militantisme LGBT. Une ère où la fierté reste un mot d’ordre non-négociable. 

Voici donc cinq faits à propos de Stonewall que vous ne connaissiez peut-être pas. 

 

1. La police est intervenue pour mettre fin à des activités criminelles de la Mafia

Contrairement à ce qu’on peut penser, la police ce soir-là n’était pas venue pour s’en prendre aux homosexuels. Le Stonewall appartenait à un mafieux connu sous le sobriquet de « Fat Tony ». C’était un lieu sordide, qui ne disposait pas d’eau courante. Les verres étaient tous lavés dans la même bassine et les prix des boissons (coupées à l’eau) étaient exorbitants. Mais c’était l’un des rares espaces de liberté pour une foule non-hétéro à l’époque. Chaque soir, un individu inquiétant du nom d’Ed Murphy, surnommé « le Crâne », y animait un réseau de prostitués chargé de repérer des cibles potentielles à faire chanter. C’est pour mettre fin à ce chantage criminel que la police serait intervenue ce soir-là, comme le prétend Seymour Pine, l’officier chargé de l’opération policière. Qu’elle qu’ait été la raison de cette intervention, elle n’excuse pas la façon dont les client.e.s ont été traité.e.s par la suite et n’enlève rien au sens de l’émeute. 

 

2. On ne connaît pas l’identité de la personne qui a lancé les hostilités

On entend souvent à propos de Stonewall, qu’une telle ou une autre « a lancé la première brique » ou « porté le premier coup ». Sylvia Rivera a affirmé que c’était elle, avant de dire qu’elle avait lancé « la deuxième brique ». On a souvent aussi crédité Marsha P. Johnson de ce rôle (voir le poème « Pride exists because of a woman » qui circule souvent au moment des prides). En réalité, ni l’une ni l’autre n’étaient présentes au tout début. Marsha P. Johnson n’est arrivée qu’un tout petit peu après. Quant à Sylvia Rivera, si l’on en croit son amie Marsha P. Johnson, elle n’a rejoint les lieux que bien plus tard, contrairement à ce qu’elle a prétendu. 

En vérité, il y a bien eu un événement qui a servi d’étincelle. Lors de leur descente au Stonewall vers 1h30 du matin le 28 juin 1969, les policiers enferment les client.e.s à l’intérieur pour pouvoir les contrôler, puis les laissent sortir au goutte à goutte. Une fois dehors, les client.e.s, qui habituellement se dispersent, restent devant l’établissement. Des badauds se joignent à eux. A un moment donné, une femme butch est prise en charge par deux policiers, qui tentent de l’emmener dans un fourgon. Elle se débat et lance à la foule « pourquoi vous ne faites pas quelque chose ? ». Les personnes présentes se mettent alors à lancer divers objets (des pièces, notamment) sur les policiers. Puis ça dégénère et s’ensuivent trois nuits d’émeutes.

L’identité de cette femme butch est restée longtemps un mystère. On a pensé il y a quelques années qu’il pouvait s’agir de Stormé Delarverie, une femme lesbienne métis. Elle-même l’a affirmé, à la toute fin de sa vie (elle est morte en 2014). 

Pourtant, selon l’historien David Carter, cela ne peut pas être Stormé Delarverie (sans que cela remette en cause sa présence sur les lieux), car tous les témoignages font état d’une personne blanche, qui avait entre 20 et 30 ans. Stormé était une femme métis, de 48 ans à l’époque et surtout connue dans la communauté. Si elle avait été cette fameuse femme butch, elle aurait été identifiée depuis longtemps. Le mystère perdure donc. Attention toutefois à ne pas trop personnaliser ce qui s’est passé au tout début de ces émeutes. La révolte qui s’est déclarée ce soir-là est le résultat d’une multitude de facteurs et d’une multitude de micro-événements. L’attribuer à une seule personne serait un contresens.  

 

3. Une clientèle très mixte

Le Stonewall Inn était une institution new yorkaise et était particulièrement populaire auprès des plus marginalisés, en particulier des jeunes sans-abri LGBT. Régulièrement, la composition de la foule présente lors des émeutes fait débat. On a encore entendu récemment lors d’un spectacle de stand-up : « Stonewall, c’était des personnes trans, des TDS et des personnes racisées ». C’est une vision incomplète des choses. Tout d’abord, la clientèle du Stonewall n’est pas la seule à avoir participé aux émeutes. Les client.e.s ont été rejoints par des badauds et d’autres personnes quand elles ont eu vent des émeutes. 

Autant il serait faux de dire que la clientèle du bar et ceux qui les ont rejoint ensuite étaient exclusivement blancs, autant il est aussi inexact de prétendre l’inverse. L’historien David Carter, qui abordait déjà le sujet dans LE livre essentiel sur les émeutes, Stonewall : the riots that sparked the gay revolution, est revenu dessus dans un texte pour le site Gay City News en 2019 : « la plus grande partie de la foule dans ces émeutes était des hommes blancs, bien que Marsha P. Johnson and Zazu Nova, toutes deux des femmes trans, aient été noires, qu'il y avait des jeunes latinos et latinas parmi les jeunes sans abri qui ont été les premiers à mener la charge contre la police. » 

Toutefois, précise rapidement Carter, « il est important de rappeler que les personnes racisées et trans ont bel et bien joué un rôle important dans cette révolte. Le défi est de clarifier et documenter qui ils et elles étaient. » L’historien conclut ainsi :  « ma recherche m’a convaincu qu’à l’époque de Stonewall, il y avait tout simplement le sentiment d’une communauté qui s’est levée à l’unisson pour pouvoir se protéger. Ce sentiment d’unité reviendra peut-être un jour. »

 

4. Le bain de sang a été évité de justesse

Il n’y a eu officiellement aucun mort lors des trois nuits d’émeutes. Pourtant, le premier soir, il s’en est fallu de peu. Attaqués par la foule, les policiers qui avaient mené la descente au Stonewall et maltraité les client.e.s se sont réfugiés à l’intérieur du bar. Depuis l’extérieur, les clients ont essayé de leur envoyer des cocktails Molotov, afin de mettre le feu à l’établissement. Les policiers, très effrayés, avaient alors leurs armes pointées vers l’extérieur. Au moment où les choses allaient potentiellement dégénérer, les policiers ont entendu les sirènes de la police anti-émeutes, venue les secourir (et passer à tabac les manifestant.e.s). 

 

5. La mort de Judy Garland n’a rien à voir là-dedans (à moins que?)

Une légende tenace prétend que les obsèques de Judy Garland, icône gay absolue décédée trois jours plus tôt, auraient mis les gays dans un état tel que cela aurait facilité la révolte. Interrogée à ce sujet par l’auteur de ces lignes, la propre fille de Judy Garland, Liza Minnelli a estimé en 2005 que c’était « une histoire trop belle pour ne pas être vraie ». David Carter balaie cette hypothèse : aucun des témoins qu’il a interrogés ne l’a mentionné. Pourtant, Miss Major Griffin-Gracy, une femme trans qui s’est battue à Stonewall, le mentionne dans un entretien avec Mason Funk en 2016 pour son livre C’est ça notre liberté (Harper Collins). La nouvelle, dit-elle, l’avait « secouée ». Alors, qui sait ?

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