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A chacun.e sa marche : comment les prides se sont multipliées

Xavier Héraud

Les prides sont devenus un événement incontournable du calendrier LGBT. En 2022, le site gaypride.fr a recensé pas moins de 77 marches sur tout le territoire ! Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Petit historique.

L’histoire des prides commence un soir de juin 1969, à New York. Les  clients du bar le Stonewall Inn situé dans le quartier de Greenwich Village se révoltent après une énième descente policière brutale. Les trois nuits d’émeutes qui s’ensuivent deviennent le symbole d’une communauté LGBT — même si le terme n’existe pas à l’époque — qui refusera dorénavant de courber l’échine (Lire notre article 5 choses que vous ignorez (peut-être) sur Stonewall). 

Un an plus tard, des marches commémoratives sont organisées à New York, Chicago et Los Angeles sous le nom de Christopher Street Liberation Day. Petit à petit, ces défilés essaiment dans le monde entier et prennent le nom de Gay Pride. On y célèbre toujours les émeutes de Stonewall, mais surtout la fierté, en réponse à la honte que veulent nous imposer les homophobes de tout poil.  

Les prides françaises se mettent en ordre de marche

Fidèle à sa tradition de manifestation, la France ne tarde pas trop à se mettre en ordre de marche. De 1971 à 1976, des militants homosexuels marchent mais au sein des manifestations syndicales du 1er mai. Ils et elles appartiennent plutôt au Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) au début, puis aux GLH, les groupes de libération homosexuels. Les militants ne sont pas très bien reçus, en particulier les Gazolines, ce groupe turbulent du FHAR qui n’hésite pas à crier des slogans provocateurs comme « prolétaires de tous les pays, caressez-vous » près de la CGT ou du Parti Communiste. Ces derniers n’apprécient guère.

La première marche autonome en France a lieu le 25 juin 1977 à l’appel des lesbiennes du Mouvement de Libération des Femmes (MLF). 400 personnes défilent entre place de la République et place des Fêtes. Si Stonewall est aujourd’hui une référence omniprésente dans les prides du monde entier — au point parfois de faire passer l’histoire militante locale au second plan —, cela n’était pas le cas à ce moment-là. En 1977, c’est la campagne homophobe de la chanteuse américaine Anita Bryant aux Etats-Unis qui mobilisait les manifestant.e.s. 

Il y a des marches similaires en 1979 et 1980, mais la première marche d’ampleur a lieu le 4 avril 1981 avant l’élection présidentielle à l’appel du Comité d’urgence anti-répression homosexuelle (CUARH). 10 000 personnes défilent alors entre Maubert-Mutualité et Beaubourg pour réclamer la dépénalisation complète de l’homosexualité (Photo de Une). 

La fréquentation baisse jusqu’en 1986, où  ne se pressent qu’un millier de personnes. Les raisons sont multiples : problèmes d’organisation, tensions entre les tenants d’une marche commerciale et ceux qui voudraient un défilé plus militant, l’épidémie de VIH qui commence à faire des ravages au sein de la communauté… On note un petit sursaut en 1987, suite aux propos de Jean-Marie Le Pen sur les « sidaïques », mais en 1988 on est à nouveau à moins de 2000 personnes. La pride est alors trustée par le groupe David Girard qui possède plusieurs établissements. Les années 90 voient finalement l’aspect militant de la pride l’emporter sur le côté commercial. Les prides attirent de plus en plus de monde et désormais, les associations de lutte contre le sida et en particulier Act Up-Paris y occupent une bonne place. 

Le succès grandissant des prides suscite des vocations : les premières manifestations en dehors de Paris ont lieu en 1994, à Marseille et Rennes. Nantes, Montpellier et Toulouse les rejoignent en 1995, Lyon, Lille, Bordeaux et Cannes en 1996. 

Point culminant de la décennie : l’Europride, qui se tient à Paris en 1997 attire 350 000 personnes. C’est le début de l’ère des prides parisiennes de masse. Au début des années 2000, la Lesbian & Gay Pride de Paris devient Marche des fiertés LGBT, à la fois pour des questions de droits (le terme « lesbian & gaypride » étant déposé par une entreprise) et pour être plus inclusif.

Il y a aujourd’hui des dizaines de marches dans toute la France, souvent accompagnées d’une ou deux semaines d’événements divers et variés pour célébrer la Fierté.  Le rendez-vous est clairement installé dans le paysage. Et n’est plus cantonné aux grandes villes, ni même aux villes moyennes. Les petites villes s’y mettent également : citons par exemple Ancenis en Loire Atlantique, 7600 habitant.e.s, ou Mende dans la Lozère, 12 300 habitants. Et de nouveaux événements se créent chaque année, y compris en outre-mer comme à St Denis de la Réunion ou Papeete. Les amateurs et amatrices de ski peuvent également profiter chaque année de la pride dans les Alpes, à Tignes.  

Des marches « spécialisées »

Alors que la pride devient une institution, des marches plus « spécialisées » voient le jour. L’Existrans est créée en 1997. Elle devient ExistransInter en 2019, pour prendre en compte les personnes intersexes. Bi’Cause organise une marche bi et pansexuelle. Une première marche lesbienne a vu le jour à Paris en 2021. 

En juin dernier, la Pride des banlieues a investi à nouveau St Denis, en Seine Saint Denis, pour mettre en lumière les thématiques liées aux personnes LGBT+ vivant en région parisienne. A l’opposé, Fiertés Rurales, la pride des campagnes devrait revenir le 29 juillet à Chenevelles, un village de la Vienne de 454 habitants, après une première édition réussie. Cette pride rurale succède à celle qui s’est tenue pendant des années à Gourin dans le Morbihan, organisée par la célèbre discothèque le Starman. 

Militants modérés vs radicaux

L’institutionnalisation de la marche suscite critiques et polémiques. L’opposition militants/établissements commerciaux des années 80 et 90 est remplacée par une opposition militants mainstream vs radicaux. Par radicaux, on entend associations, collectifs et militants, situés politiquement à la gauche de la gauche, et qui portent des revendications plus larges que celles du mouvement LGBT (violences policières, droits des migrants, etc.) Les crispations se manifestent de diverses manières. Les slogans et les affiches sont régulièrement dénoncés par les plus militants. On se souvient notamment de l’affiche qui montrait un coq avec son boa en 2011, que certains ont interprété comme un visuel « homonationaliste ». L’Inter-LGBT, l’interassociative organisatrice de la marche parisienne, est accusée d’être dépolitisée. Pour joindre le geste à la parole des associations prennent régulièrement la tête de la manifestation pour mettre en avant leurs revendications, qu’elles estiment négligées par les organisateurs, créant quasiment un cortège distinct. 

Pour aller jusqu’au bout de la logique contestataire, certaines associations comme Act Up-Paris créent une « Pride de nuit », qui connaît trois éditions entre 2015 à 2017 à Paris. Des éditions sont également lancées à Toulouse, Lyon ou Nice. Craignant d’être à son tour de devenir institutionnalisée et dépolitisée, la Pride de nuit parisienne se saborde en 2018. Elle renaît en 2021 sous le nom de Pride radicale. Organisée notamment par des militant.e.s de l’association d’aide aux migrant.e.s BAAM, elle se décrit comme une  « Marche des Fiertés Antiraciste & Anticapitaliste » et concentre ses revendications sur les questions liées aux migrant.e.s et les questions décoloniales. 

Au final, les discours portés par ces marches commencent à influencer les prides « mainstream ». Ainsi, le texte d’appel à la marche parisienne en 2022 semblait nettement plus offensif qu’habituellement, avec notamment le mot d’ordre : « nos corps, nos droits, vos gueules ». Et à Lyon, les radicaux ont même pris le pouvoir. Depuis 2019, le collectif Fiertés en lutte qui organise la marche et impose un cortège avec des sections en non-mixité. L’ordre de marche ne s’articule plus autour des associations ou établissements mais autour des identités de chacun : personnes racisées, lesbiennes, personnes en situation de handicap, etc. A Paris, la Pride radicale et la marche lesbienne ont adopté un principe similaire, que certains ont pu trouver choquant. Ce mode de fonctionnement va-t-il faire tâche d’huile en 2023?  Nul doute, à l’aube de cette nouvelle saison des marches, que les débats vont encore agiter de nombreuses prides. En attendant, préparez vos chaussures. Modérée ou radicale, à Paris ou ailleurs, il y a forcément une marche pour vous.

Photo de Une: Claude Truong-Ngoc @Wikimedia Commons


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