Si vous ne l’avez pas encore vue, courez à une représentation de La machine de Turing, la pièce aux 4 Molière qui explore la vie d’Alan Turing, mathématicien de génie, qui a contribué à décoder la machine de communication des nazis et qui a été condamné pour homosexualité.
Près de soixante-dix ans après sa mort, Alan Turing continue de fasciner. Le génial mathématicien anglais, au destin aussi exceptionnel que tragique, est au centre de la pièce La Machine de Turing, créée à Avignon en 2019 et présentée actuellement au Théâtre du Palais Royal, à Paris.
Écrite par le comédien et dramaturge français Benoît Solès, La machine de Turing est inspirée par la pièce de Hugh Whitemore Breaking the code et basée sur la biographie Alan Turing : the enigma, d’Andrew Hodges, qui a également été adapté au cinéma (Imitation Game, avec Benedict Cumberbatch).
La Machine de Turing raconte la vie de ce génie, qui a contribué à décoder Enigma, la machine cryptée de communication des nazis et dont les travaux ont donné naissance à l’informatique et aux ordinateurs. Habilement construite, la pièce retrace sa vie, de son enfance, où il témoigne très vite une aptitude exceptionnelle aux mathématiques, à son procès pour homosexualité, qui le verra condamné à la castration chimique. Sont également évoquées la mort prématurée de celui qui fut peut-être son premier amour, Christopher, et bien sûr la seconde guerre mondiale, où sa contribution majeure — on dit que grâce à lui la guerre a été écourtée de deux ans — devra rester un secret d’Etat.
La pièce aborde aussi le thème de l’intelligence artificielle, dont Turing est l’un des pères, avec cette question lancinante aux enjeux tant techniques que philosophiques : les machines peuvent-elles penser ? Et si oui, les humains sont-ils des machines ?
Condamné pour homosexualité
Hélas, le mathématicien ne pourra pas voir de lui-même à quel point ses travaux ont transformé le monde. Il meurt en 1954, à seulement 41 ans, après avoir croqué dans une pomme qui contenait du cyanure, un parallèle troublant avec la pomme du film Blanche Neige et les sept nains, qu’il adorait.
Son rôle dans la Seconde Guerre mondiale ne sera connu que des décennies après sa mort, quand la Grande Bretagne acceptera de déclassifier les documents relatifs au décryptage de la machine Enigma. La loi homophobe qui a servi à le condamner, comme Oscar Wilde avant lui, sera abrogée en 1967. Enfin, grâce à une mobilisation militante, il est gracié à titre posthume par la Reine Elizabeth II en 2013. L’Histoire le reconnaît enfin à sa juste valeur.
Pour donner de la chair à ce personnage hors norme, il fallait un comédien avec de sacrés épaules. C’est manifestement le cas pour Benoît Solès (en alternance avec Matyas Simon), qui incarne avec brio le mathématicien anglais. Aidé par une mise en scène impeccable, signée Tristan Petitgirard, l’artiste parvient à insuffler de la vie à cette figure mystérieuse. A ses côtés, Amaury de Crayencour, en alternance avec un autre comédien, interprète une foule de rôles : le sergent qui s’occupe de son cambriolage, son amant, un champion d’échecs avec qui il travaille sur Enigma… Face à cet alter ego changeant, Turing se montre tour à tour brillant, fragile ou désespéré, voire tout ça en même temps.
La profession ne s’est pas trompée sur la qualité de la pièce. La machine de Turing a reçu 4 Molière en 2019, celui du Meilleur spectacle théâtre privé, de l’Auteur francophone vivant : Benoit Solès, du metteur en scène Théâtre Privé : Tristan Petitgirard et du comédien : Benoit Solès. Une pièce incontournable sur une figure qui l’est tout autant.
La machine de Turing, Théâtre du Palais Royal, les mercredi, vendredi, samedi et dimanche, theatrepalaisroyal.com