Inventé à la fin des années 70’s par le jeune Gilbert Baker, le Rainbow flag a, au cours de son existence, connu de nombreuses modifications accompagnant l’évolution de la communauté LGBTQ au fil des années.
Nous sommes à la fin des années 70’s, Harvey Milk s’est installé à San Francisco avec son copain en 1972 et y a ouvert une boutique de photographie. Le jeune Harvey est aussi un militant acharné pour les droits des homosexuels. Un mouvement qui commence à se structurer après l’évènement phare qu’ont été les émeutes de Stonewall en 1969 à New York, officiellement considérée (même si l’histoire est plus complexe) comme le point de départ symbolique du militantisme gay américain. Après plusieurs tentatives infructueuses, Harvey Milk est enfin nommé en 1977 premier élu superviseur (soit l’équivalent de conseiller municpal, NDR) de la ville de San Francisco auprès du maire Georges Moscone, devenant ainsi le premier politique ouvertement gay des États-Unis.
UN SYMBOLE, SIMPLE, PUISSANT ET UNIVERSEL
Convaincu que l’acceptation des homosexuels passe par leur visibilité, Harvey Milk explique un jour à son ami Gilbert Baker, une jeune artiste et drag-queen dans la vingtaine, de son envie de créer un objet emblématique, dont la symbolique soit universelle et qui permettrait d’oublier le sinistre triangle rose que les nazis utilisaient pour désigner les gays et les déportés dans les camps de concentration pendant la seconde guerre mondiale. Enthousiasmé par le projet, et après y avoir longuement réfléchi, Gilbert décide d’opter pour un drapeau, un symbole fort et universel pour un pays qui n’aurait pas de frontières et rassemblerait tous les gays, lesbiennes et trans sous une même bannière. Il déclarera à l’époque : « Notre objectif en tant que gay était de faire notre coming-out, d’être visibles, de vivre dans la vérité, de sortir du mensonge. Le drapeau possédait tous ces atouts, il était une merveilleuse opportunité d’affirmer notre visibilité et d’affirmer : “Voilà qui je suis !“ »
L’ARC-EN-CIEL COMME MODÈLE
Pour ce faire, armé de sa paire de ciseaux et de sa petite machine à coudre, Gilbert Baker commence à s’affairer à la fabrication de ce challenge en s’inspirant de drapeaux communautaires déjà existants. Comme le drapeau bouddhiste du Sri-Lanka et ses lignes colorées et verticales, le Wiphala des Amérindiens de Colombie dont chaque couleur utilisée reflète un trait de caractère ou le drapeau de la paix italien constitué de sept bandes horizontales de couleurs différentes. Après mûre réflexion, Baker, inspiré comme le raconte la légende par la chanson “Over The Rainbow“ de l’icône gay Judy Garland, se décide pour un rectangle de tissu constitué de huit bandes horizontales, chacune avec une couleur spécifique (selon le modèle de l’arc-en-ciel) correspondant à un état d’esprit. Le rouge symbolisant la vie, le rose le sexe, l’orange la guérison, le jaune le soleil, le bleu turquoise l’art en général, l’indigo l’harmonie et le violet l’esprit. Une approche holistique, globale et spirituelle très éloignée de la vision contemporaine du rainbow flag que ceux qui ne maîtrisent pas leur histoire considèrent comme le reflet des différentes carnations de peau !
LES PREMIERS PAS DU RAINBOW FLAG
Pressé par la prochaine édition de la San Francisco Gay Freedom - l’ancêtre de la Pride qui se tient le 25 juin 1978 - où le premier prototype du Rainbow flag doit faire sa première apparition, Gilbert Baker, s’affaire à la réalisation de deux immenses drapeaux. Il s’entoure pour cela d’une armada de volontaires qui travaillent nuit et jour, récupèrent des stocks de tissus invendus, assurent la teinture selon les huit couleurs choisies, se relaient interminablement sur la petite machine à coudre qui, au bord de la surchauffe, menace de rendre l’âme ! C’est dans cette ébullition très folle que deux immenses drapeaux sont achevés juste à temps, la nuit qui précède la marche. Une marche où ils feront une première sortie remarquée, sans que son créateur imagine que plus de quarante ans plus tard, le Rainbow flag, qui aura subi quelques modifications avec les années deviendra le symbole absolu de la queer nation, un obligé de toute Marche qui se respecte et aura disséminé sa philosophie de la tolérance tout autour du monde.
UN DRAPEAU ACTIVISTE
C’est malheureusement un évènement tragique et hautement symbolique, l’assassinat le 27 novembre 1978 du maire de San Francisco et d’Harvey Milk par Dan White, un ancien employé de la Mairie, sous fond d’intolérance, d’accusations de lobbying et d’homophobie, qui vont pousser et aider le Rainbow flag à se déployer encore plus. En effet, alors que l’assassinat sauvage d’Harvey Milk a profondément ému la communauté gay, preuve de l’amour et du respect qu’elle lui portait, le verdict trop laxiste et clément du procès de Dan White le 21 mai 1979 provoque la colère de la communauté homosexuelle. Des émeutes nocturnes et violentes contre la police aux cris de «Vengeance pour Harvey Milk» explosent pendant que la communauté gay de San Francisco organise dans la précipitation une immense marche de protestation pour célébrer la mémoire de Milk et contester l’inanité de la condamnation de l’assassin. Bien décidé à rendre hommage au souhait de la naissance d’un symbole universel pour la communauté homosexuelle, Gilbert Baker décide alors de faire fabriquer industriellement un maximum de drapeaux qu’il compte distribuer aux participants de la marche. Mais, dans la précipitation, tout ne se passe pas comme prévu : le fabricant est en rupture de colorant rose et annonce à Baker que son Rainbow flag ne comptera au final que sept couleurs. Une pénurie qui va obliger Gilbert à revoir sa copie, désirant garder un nombre pair de bandes horizontales, il fait supprimer le bleu turquoise et remplace l’indigo par un bleu royal, pour des raisons purement esthétiques. Un nouveau design qui acte de la naissance officielle du Rainbow flag tel que nous le connaissons aujourd’hui, avec six bandes horizontales, aux couleurs tranchées (rouge, orange, jaune, vert, bleu et violet disposés de bas en haut) qui va tout doucement faire son apparition dans les Pride tout autour des États-Unis mais aussi dans quelques pays européens. Même si certain.es militant.e.s — à l’époque le Rainbow flag ne s’achète pas et est généralement bricolé à la maison — brandissent des drapeaux, dont le mélange de bande horizontales de couleur fait penser au drapeau gay, preuve que cet objet-symbole a été bien pensé et désigné et commence à s’imposer tout doucement dans la communauté queer.
QUAND LE RAINBOW FLAG ENTRE AU MUSÉE
Ce n’est qu’en 1994, soit plus de quinze ans après la création du drapeau, lors de la Pride annuelle de New York qui commémore tout spécialement les 25 ans des émeutes de Stonewall, que le déploiement d’un drapeau arc-en-ciel de plus d’un kilomètre (voir photo ci-contre) porté par cinq milles volontaires va officiellement donner ses lettres de noblesse au Rainbow flag et en faire le symbole universel et à ce jour jamais détrôné de la communauté LGBTQ. « A la fin de la Pride, j’ai pris un ciseau et j’ai commencé à découper le drapeau et le distribuer aux gens autour, leur disant : « Vous êtes de Londres alors amenez en un bout chez vous, pareil pour vous qui venez de Cuba, ou vous de Hong-Kong. C’est comme ça que le rainbow est devenu international. » racontait Gilbert Baker à la fin de cette Pride new yorkaise mémorable. Dans les années 2000, avec l’avancée des droits des homosexuel, le Rainbow flag est partout, le Musée d’Art Moderne de New York en fait l’acquisition pour ses collections personnelles en 2015 et la même année, alors que Barack Obama est président, la Maison Blanche s’illumine aux couleurs du drapeau histoire de célébrer en beauté la légalisation des mariages de même sexe dans 50 États membres américains.
LA BANALISATION DU DRAPEAU
Devenu un symbole puissant, le drapeau est aussi victime de sa marchandisation à outrance. Décliné en mugs, badges, t-shirts, bougies parfumées, récupéré par la mode qui s’achète une conscience LGBTQ-friendly à moindre frais en lançant des collections capsules au moment des Pride, devenu un marqueur du progressisme politique (les escaliers arc-en-ciel de Nantes, les passages piétons aux couleurs du drapeau dans le Marais parisien, le tramway ultra-coloré de Bordeaux…), utilisé par les marques soucieuses d’afficher leur progressisme, le Rainbow flag perd peu à peu de sa substance militante et politique. A partir des années 2010, il va ainsi perdre de sa superbe et faire l’objet de nombreuses critiques venant de la jeune génération LGBTQ qui réclame plus d’inclusivité, d’intersectionnalité, de diversité et de fluidité. Toute une génération qui a assimilé les combats du passé tout en pointant leurs manquements et impasses. La première critique adressée au Rainbow flag est qu’il ne représente l’éventail des différents genres et sexualités, de la bisexualité à la pansexualité, de l’aromantique au non binaire, du transgenre au gender queer, de l’asexuel à l’allié.e…
VERS LE RENOUVEAU DU RAINBOW FLAG ?
Lors de la Pride de Philadelphie en 2017, la mégalopole américaine décidait ainsi d’ajouter deux couleurs au drapeau de base - le noir et le marron - histoire d’inclure les personnes de couleur, mais surtout de reconnaître et rendre hommage au rôle crucial qu’elles ont jouées dans les mouvements de libération LGBTQ. Tout en tordant le cou, d’une certaine manière, à la symbolique première des couleurs voulues à l’origine par son auteur, et générant de nombreuses dissensions entre les pro et les contres au sein de la communauté homosexuelle. Depuis une dizaine d’années, les alternatives au Rainbow flag originel se sont ainsi multipliées avec l’apparition de nombreux drapeaux plus spécifiques censés représenter la multiplicité des genres et des sexualités, des couleurs de peau et des pratiques, des revendications et des visibilités, mais surtout s’adapter aux nouveaux combats et luttes de la communauté LGBTQ actuelle et sa fantastique diversité !