Articles / Histoire

James Bidgood, le maître queer

Jean Jacob

Artiste inclassable, l’américain auteur du chef d’œuvre Pink Narcissus vient de nous quitter. Il laisse derrière lui un univers trempé dans le kitch et le camp dont l’influence dépasse désormais les frontières.

30 ans, c’est le temps qu’il aura fallu à l’américain James Bidgood, cumulant les fonctions de photographe, costumier, décorateur et cinéaste, pour revendiquer la paternité de Pink Narcissus. Un OVNI cinématographique sorti en 1971, kitch et queer à la fois, nappé de lumières roses, de paillettes et de dorures, où un jeune éphèbe aux tenues moulantes et dénudées se rêve en différents personnages fantasmatiques (toréador, esclave sexuel, éphèbe à dispo). Un film anonyme, diffusé dans le circuit des grandes salles au risque de faire scandale, attribué un temps au vidéaste underground Kenneth Anger ou à la star du pop-art Andy Warhol, qui ne connaîtra le succès que dans les 90’. Devenant avec les années un classique de la culture gay dont l’univers, coloré et décalé, érotique et fleuri, va influencer des artistes comme Pierre & Gilles, David LaChapelle ou Greg Arraki, et qui connait aujourd’hui une sorte de seconde vie avec les multiples possibilités des filtres Instagram.

Élevé dans la campagne profonde du Wisconsin, fasciné par le music-hall et Broadway, James Bidgood débarque à 18 ans, sans le sou, à New York bien décidé à pénétrer ce milieu qui le fascine. A force d’obstination, il alterne les rôles de costumier, décorateur et drag-queen, tout en s’essayant à la photographie dans sa minuscule chambre de bonne, où dans des décors de carton-pâte façonnés par ses soins, il fait poser de jeunes garçons dans des postures lascives. Grand fan des beefcakes, ces magazines qui sous couvert de présenter des culturistes en pleine action firent partie des premières publications gay, James Bidgood trouve que la manière de shooter, le plus souvent en noir et blanc les modèles, manque de fantaisie et d’humour. Il va y apposer sa touche, plus colorée, second degré et féminine, déconstruisant bien avant tout le monde la masculinité. Traumatisé par la mort de son amant en 1985, survivant tant bien que mal à la misère qui le rongeait dans son petit appartement, James Bidgood nous a quitté en janvier dernier à 88 ans dans l’oubli le dénuement le plus total, laissant derrière lui un Pink Narcissus toujours aussi vivifiant, quelques photos et Polaroïds, mais surtout une influence qui n’a pas fini de lui survivre.

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