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Quand le peintre Hugh Steers documentait la tragédie du Sida

Julien Claudé-Pénégry

Artiste américain méconnu, mort du Sida à 33 ans, Hugh Steers est enfin célébré comme il se doit en France. Une exposition à ne surtout pas manquer.

On peut faire une confiance aveugle à Russell Tovey, l’acteur britannique qu’on a adoré dans la série « Looking » et dont les oreilles nous mettent régulièrement en PLS, quand il s’agit de parler d’art. Russell est en effet un fervent connaisseur et collectionneur doublé désormais d’un curateur en or pour la première exposition européenne de l’américain Hugh Steers, peintre figuratif surdoué trop méconnu et mort du sida en 1995 à l’âge de 33 ans. Né en 1962 à Washington, et membre d’une famille dont on retrouve dans la généalogie l’écrivain Gore Vidal ou la dynastie Kennedy, Steers développe très jeune un goût prononcé pour le dessin comme pour les escapades nocturnes au Studio 54, dont l’univers de danse, de sexe et de débauche, le fascine. Diplômé en 1985, il s’installe immédiatement à New York, peignant inlassablement la journée des toiles figuratives, attachées aux situations de la vie de tous les jours, pendant qu’il passe ses nuits dans l’effervescence des cabarets de drag-queens et des clubs gays. Alors que l’époque est au postmodernisme et à l’abstraction, Steers reste attaché à une vision de la peinture attachée à retranscrire le réel, se revendiquant du classicisme d’Edward Hopper, Thomas Eakin, Edouard Vuillard ou Pierre Bonnard. Diagnostiqué porteur du VIH à 25 ans, ses toiles qui mettent souvent en scène des couples de garçons (qui s’embrassent à pleine bouche à même le sol de la salle de bain, qui se rhabillent après l’amour, qui s’amusent sur un lit) commencent à se teinter de gravité. Steers, en fin observateur de la communauté gay, peint le quotidien de ses amis qui meurent du Sida, allant même jusqu’à cacher le visage de certains de sacs en papier, comme pour mieux dénoncer la discrimination qu’ils subissent. « C’est une tragédie qui l’a touché personnellement et a décimé ses proches, explique Robert Goff, de la galerie David Zwirner (dont la déclinaison française présente l’exposition). Ses portraits réalistes sont empreints de nostalgie, d’isolement et de chagrin, et célèbrent les anonymes d’une scène gay et bruyante et désormais en voie de désintégration. » On est effectivement saisi par le réalisme des toiles de Hugh Steers, par leur réalisme mais aussi la tendresse qui s’en dégage, par leur naïveté comme leur gravité, à l’exemple de ce jeune homme qui ausculte son reflet dans une glace sans doute à la recherche d’un des stigmates de la maladie. Dure et douce en même temps, tendre et rageuse, souvent à double-entente, l’œuvre prolifique (on compte quelque 500 toiles à son actif) sont fort heureusement redécouvertes et célébrées depuis quelques années. Comme le justifie Russell Tovey : « Aujourd’hui que les canons de l’histoire de l’art sont repensés – grâce à des expositions comme celle de Hugh Steers par exemple, la figuration queer actuelle est regardée avec un plus grand intérêt. Je pense à des artistes comme Louis Fratino, Salma Toor, Doron Langberg… Tous travaillent à l’élaboration de nouveaux récits tout en assumant leurs références aux grands maîtres historiques. Leur art change les choses et ouvre de nouveaux espaces pour une nouvelle génération, et pour plus de diversité. » Par Jean Jacob.

 « More Life : Hugh Steers », Galerie David Zwirner, 108 rue Vieille du Temple, 75003 Paris, jusqu’au 29 janvier.

 Une sélection est disponible ici. Mot de passe : Zwirner1

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