« Faire les tasses », pour la « génération Grinder », ça ne veut rien dire. Avant la drague sur les applis, avant l’apparition d’internet, avant le minitel et le réseau téléphonique, avant qu’il n’existe des établissements dédiés, les mecs qui cherchaient à rencontrer d’autres hommes se retrouvaient dans les tasses !
Les tasses, dans l’argot du siècle dernier, c’était les vespasiennes, c’est-à-dire les pissotières et urinoirs publics en tout genre. Ancêtres de la monoplace et aseptisée Sanisette Decaux, les urinoirs publics comptaient parfois une dizaine de stalles. À l’époque du placard, quand l’homosexualité était condamnée par la loi (et ce n’est pas si loin en France), les tasses de chaque ville, chaque village ont joué un rôle capital d’émancipation sexuelle et sociale.
C’est cette histoire urbaine dénigrée que Marc Martin a voulu volontairement mettre en lumière.
Malgré son succès au Schwules Museum de Berlin l’an dernier, malgré une exposition au musée Leslie-Lohman de New Y
ork prévu l’an prochain, Paris s’est montré frileux avec ce projet. Aucune institution n’a osé lever le masque sur les activités clandestines qui se déroulaient dans les vespasiennes de la Capitale. Trop politiquement incorrect ! Au sein même de la communauté LGBT+, le sujet divise : une partie des porte-paroles préfèrerait gommer cette partie de notre histoire, justement parce qu’elle fait tache aujourd’hui dans le décor. Pourtant, éc
rit Marc Martin en ouverture de son ouvrage, ces édicules, qui se confondent avec les aventures de nombreux gays, travestis, prostitués, libertaires, offraient une liberté échappant à tout enjeu formaté, à toute logique économique. Ces lieux de passage et de sociabilité atypique voyaient les classes sociales s’estomper, les cultures se mélanger... Et c’est justement parce qu’elles ont mauvaise réputation que le photographe s’est donné tant de mal. C’est un lieu de rencontre où lui-même a fait ses classes. Dans ce projet, il démontre une face cachée du Paris Gay qui a aussi permis de faire avancer la grande Histoire… Documents historiques à l’appui, dénichés dans les archives de la police et grâce aux témoignages des ainés sur le sujet. Il ne s’agira donc pas uniquement d’une exposition artistique mais bien d’un positionnement politique de l’artiste. Il s’est entouré d’auteurs, de scientifiques pour décrypter 200 ans d’histoires, loin des représentations propres et polissées.
Marc Martin « Les tasses, toilettes publiques – affaires privées ».
Sortie du livre 4 nov. 2019.