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Drags militants queer

Geypner

Créatures en tous genres, les Queens ont aujourd’hui pignon sur rue. Issues d’une histoire riche et revendicatrice, les générations actuelles sont-elles empreintes d’une conscience politique qui fait de leur démarche un acte militant ?


C’est à poil que Clémence Trü alias Guillaume, a fini le dimanche 6 octobre au beau milieu des Bouffes du Nord devant un public survolté. Invitée dans le cadre du Monde Festival, la Queen qui pendant une heure a donné de la voix, n’a pas démérité lors du show de clôture du débat « Drag, voguing : le queer sur le devant de la scène », que le journaliste Jean-Guillaume Santi animait. Devant une projection d’images fortes replongeant dans les affres d’une homophobie latente et persistante, entourée de l’ensemble des Queens, Kings et vogueurs qui sont venus performer ce soir, Clémence par cette mise à nu intégrale, affirme son attachement à un drag politique, revendicatif et militant.

A l’heure où la scène drag est en pleine explosion, que les médias s’emparent du sujet, que le phénomène RuPaul Drag Race livre une vision d’un Drag codifié, léché et marketé, les Queens sont plus que jamais au carrefour d’une visibilité qu’il leur faut utiliser pour appuyer leurs expressions artistiques d’une épaisseur politique.

Le fait qu’elle soit sous les projecteurs n’est pas qu’une histoire de paillettes, appuie Clémence Trü : « pour moi, le drag est politique par essence, mais doit l’être aussi par conscience. Tu es politique à deux titres : parce que tu es un homme qui s’habille en femme et que la visibilité que tu as, doit être le medium pour passer un message. » A 29 ans, Guillaume de son vrai prénom a mis le pied dans le monde du drag avec les soirées Garçon Sauvage à Lyon. Lorsqu’il débarque à Paris, il fréquente la House of Moda qui « fournit un espace safe pour les personnes qui voulaient se lancer de manière secure ». Looks travaillés, make-up maitrisés, esprit débridé et ambiance libérée, la House of Moda est la révélation pour quantité de drags. D’ailleurs Clémence y est née, en 2016 lors de la célèbre soirée : entrée-plat-dessert.

A l’intersection

Clémence est à part. Une femme avec derrière un corps d’homme. Pourquoi vouloir le faire disparaître quand on est un mélange. Il décide donc de garder sa pilosité, la barbe ou/et la moustache est/sont sa signature. « J’adore l’idée d’être une femme barbue. C’est perturbant. Il y a 5 ans, on me disait que je ne faisais pas du drag à cause de la barbe. Cela signifiait que si une femme a une barbe, elle n’est pas une femme. En gros, elle doit avoir une poitrine d’une certaine taille, des grosses lèvres, une taille effilée… et c’est tout ! » explique Guillaume. Manque de chance, ce sont ces différences et le fait de déconstruire la définition de la femme telle que la société la conçoit et l’étiquette qui le motivent. « Je me pose toujours des questions : je suis un drag, pourquoi je devrais avoir des seins et pourquoi pas une barbe. Je questionne mes looks : j’aime être une laide dans les codes esthétiques d’aujourd’hui. J’interroge : je sublime les mysfits, les laissés pour compte, les mis de côté ».

Une revendication qui va de paire avec le nom de Drag qu’il s’est donné : Clémence Trü. Tout part d’une blague autour des menstruations. A la simple évocation de l’idée, les réactions de rejet se font sentir. Puisque cela resonne comme un tabou de la féminité de la scène drag, il en fait son Drag Name. L’objectif : fait réagir, sourire, réfléchir. Car en 2016, sublimez la féminité par ses apparats physiques fait le job, mais pour Guillaume, il faut aller plus loin et casser les codes.

Provoquer des réactions, balancer les préjugés à la poubelle, reconsidérer le genre, c’est l’un des objectifs du Drag. Bien entendu se faire plaisir en incarnant une « DRessed As a Girl », acronyme de DRAG est la base mais pas uniquement. Là où les artifices sont démultipliés pour offrir une vision de la femme pulpeuse, généreuse, glamour et sexy, se pose aussi tout un travail de déstructuration de cette féminité imposée par les magazines et les diktats d’un patriarcat over testostéronée.

L’art du drag comme activisme

Veronika Von Lear donne le change à ces idées préconçues. Sous ses courbes volupteuses et son style étudié, cette matrone de maison close et femme d’affaires des années 80 en impose. Forte personnalité assez dominante, Amanda Lear an guise de mère de cœur et Marianne James sous les traits de Maria Ulrika Von Glott dans l’Ultima Récital comme inspiration, nourrissent le personnage. « Elle est mon extravagance, une extension de moi. Tout ce que j’ai en moi, elle le vit sans retenue. Je surjoue pour donner plein de sens à Véro », précise Clément, le jeune homme au regard bleu, derrière Veronika, l’une des Drags les plus célèbres de Paris à qui la chaine franco-allemande Arte a consacré une série de sept courts métrages sous le titre de « Clément, reine de la nuit ». Bien plus qu’un personnage bis, Véro comme il aime l’appeler, est pour lui une bouffée d’air frais. Il met beaucoup de choses en elle : « elle n’a peur de rien, elle se fout de tout, grande gueule, ça se répercute sur Clément », confie-t-il. Comme un exutoire, Veronika permet à Clément de prendre confiance. « Dans le milieu LGBT, on accepte plus facilement une femme au corps rond qu’un homme » assène-t-il. La part de séduction qu’il revêt, la forme de fémininité qui dessinent les traits de Veronika, lui offrent un cadre d’expression. Artiste dans l’âme, il aime jouer avec les codes, le genre et le coté militant. « Je veux montrer que je suis ronde, J’assume. Mettre des hommes dans des corsets, ça montre aussi ce que l’on a imposé aux femmes. Les hommes ont ce chemin de souffrance pour se faire pardonner. C’est aussi ça une version du drag ». Une esthétique eighties, 1,95m en talons, une carrure de rugbyman lorsqu’il se drag, Veronika Von Lear est une des Queens les plus emblématiques de la scène parisienne.  « L’art du drag est un activisme », reprend-t-il.

Des hommes qui se griment en femme laissent apparaître leur part de féminité. C’est ce qu’a permis Minima Gesté à son alter-ego Arthur. « Minima fait vivre des choses qu’Arthur n’oserait pas. Durant les soirées, des personnes me touchent les seins et les fesses sans demander. Ça donne l’impression que mes grosses hanches, mes gros seins, incarnation des femmes telles que vues par la société offre un champ de possibles. Moi ça me permet de revenir sur le fait que ce n ‘est pas ok du tout au contraire !  Et de parler du consentement et du regard posé sur les femmes. Toujours très féminine en Minima, je défais les codes de la société en mode binaire, même si ce n’est pas simple. Ça a permis à Arthur d’assumer qui il est aujourd’hui avec des cheveux roses, un éventail, des sacs à mains. », argumente l’intéressé.  Cette affirmation par le drag est une forme de conscientisation. Organisatrice de soirées comme un bingo devenu référence dans le milieu LGBT, Arthur ne perd pas la finalité de son drag. Aussi festif et plaisant soit-il après ses 3 heures de make-up et avoir enfilé sa tenue, il considère comme « important pour lui de faire passer des messages. Je n’en veux pas à ceux qui font du drag pour être bien. Ça permet de se libérer et c’est déjà cela. Ce n’est pas une obligation bien entendu, mais j’ai une pointe de déception quand des drags n’utilisent pas leur plateforme pour faire passer des messages », déplore-t-il avec un sentiment de perte de politisation.

Être visible

Les onze saisons de RuPaul Drag Race, la plus célèbre des drag queens, a fait évoluer les mentalités. La visibilité et la compréhension du drag est plus facile depuis son arrivée sur Netflix. Alors qu’elles n’étaient qu’une vingtaine à tout casser il y a cela 6 ans, RuPaul a rendu le drag populaire et accessible. Bien qu’ultra américanisé et mercantile, ce show est une porte d’entrée non négligeable sur cet univers qui était de l’ordre de l’alternatif, de l’underground il y a encore quelques temps. Des générations entières de Baby Queens en sont le fruit. Au point que les dénombrer simplement à Paris est juste impossible. Enza Fragola se souvient des balbutiements de la sphère drag parisienne. « La réappropriation de la féminité s’est structurée avec le temps jusqu’à se professionnaliser. Il a eu les premières soirées avec les scènes ouvertes au Souffleur, puis les Jeudi Barré, la safe place que constituait La House of Moda. Puis les Drags House ont vu le jour, avec des concepts identifiables notamment avec La maison Chérie et la Maison Morue. Le Dragathon, évènement majeur imaginé par Jérémie Patinier a fait émerger quantité de drags. Les perruquiers et les costumiers sont venus se greffer au business. Les instagrammers et leurs kilos followers en make-up boy affichent leur talent sur les réseaux sociaux et puis les agences de drags ont débarqués dans le monde drag ». Drag ou créature, observatrice Enza ne quitte jamais sa moustache, c’est le morceau de Vincent qui ne s’efface pas sous le maquillage, affirme-t-elle. Performances pétillantes et extravagantes autant sur les créations de looks que sur le maquillage, ces sorties sont remarquées, connues et reconnues.

Les messages qui sont distillés au cours des performances sont très éclectiques. Certaines le font dans cet objectif quand d’autres n’osent pas. Mais déjà l’acte de Drag est un message en tant que tel. N’oublions pas que le drag c’est de l’expression libre à la base. « Je suis plus une créature, pas vraiment femme, ma féminité s’exprime autrement mais je me dis plus souvent meuble, reprend Enza. C’est la Moda qui m’a fait comprendre le sens de la blague ambulante : un piano, la cathédrale notre dame, la tour Eiffel, en escalier pour la soirée « Montée des marches »;  je joue avec les looks comme une farce et c’est aussi une manière de passer des idées », explique Enza.

Sur tous les fronts

Sous les traits d’Enza, Vincent regarde avec quiétude le monde drag parisien. A l’initiative de l’instagram Drag Paris devenu Drag France, d’un fanzine Les fées du Marais écrit par et pour les drags, de dragendas pour se repérer dans la jungle drag, du Sidragction qui invite les drags à se mobiliser pour la lutte contre le Sida, mais aussi le Queen, une monnaie qui circule dans les soirées drags, des ateliers make-up et couture… Enza ne lésine pas pour investir son temps dans sa passion et faire vivre du milieu Drag. Un engagement qui fait d’elle, une militante de premier ordre. Cet engagement, d’autres le manifestent plus radicalement encore comme Babouchka Babouche fait de Ze Nice Show, une soirée très politique avec des perfs à messages forts.

Dans l’univers Drag, les innombrables soirées qui fleurissent aux quatre coins de Paris sont autant de rendez-vous pour se produire, défiler, se montrer : La Guillotine, Drag on, les Jeudi Barré, Drag me up, le Dragathon, Dimanche drag !, Ze Nixe Show, Screen Queens, Discoquette, Boca a Boca, La Clash Tata, La Gang Bambi… Pas une soirée sans son lot de sorties drag à Paname.

A tel points que certains espaces permettent à des drags de vivre pleinement de leur art comme Bosco Noir aka Benjamin. La Queermess, La Devotion, membre du collectif Bragi Pufferfish pour les Gang Bambi, dj résident des Drag me Up chaque dimanche au Who’s, mais aussi performeur à Bordeaux, ou à balancer du son sur les platines de la Spleen ou au Purple au Gibus, c’est en drag qu’il évolue sous sa casquette de DJ-performeur. Autodidacte, le jeune homme de 30 ans a fait du personnage Bosco Noir, un outil pour « casser les codes et ne pas correspondre à ce que les gens attendent de la drag queen conventionnelle. Bosco, c’est l’image que j’ai de moi-même, je me sens femme et homme à la fois. C’est une extension de Benjamin à 2000%. Beaucoup de make up, de gros pads, je me mets à nu quand je suis en drag. Une moustache, pas de poitrine, le drag que je créé casse énormément de barrières. A la fois ouverture au dialogue et à ma propre personne, je me suis aperçu que e ne joue pas un rôle quand je suis bosco : c’est moi ! Une drag queer, non genrée ».

Casser les codes

Le drag sublime le féminin en utilisant le côté masculin apparent pour émettre une critique de la condition des femmes, rebattre les cartes, mettre à bas les genres, chambouler les codes. Une scène artistique indépendante, plus militante. A la croisée de tous les combats : féminisme, homophobie, grossophobie, transphobie, racisme… les drags questionnent. Conscientisées ou politisées, revendicatrices, militantes, jouer sur les codes féminins de manière outrancière, c’est porter une critique, mettre le doigt sur une vision pour la déconstruire et la reconsidérée. Bosco revient sur une spécificité parisienne dans ce mélange des genres : « à Paris, par exemple on ne tuck pas (exercice de style visant à faire disparaître les attributs sexuels masculins ) et ne se rase pas. La drag parisienne n’en a pas besoin pour le mixe des genres. La Maison Morue affiche des paquets apparents, c’est sexy ce féminin-masculin. Sans pad non plus, elles sont aussi en chaire et assument avec élégance et classe ».

De ces impératifs expurgés, Loïc plus connu sous la Big Bertha en joue avec délectation. Lui aussi vit de son drag, s’il l’on peut l’appeler ainsi. Il s’explique : « trop simple d’incarner une femme, que je considère comme trop vu, trop convenu, pas assez extrême. Avec mon 1,91m et quelques kilos par jambes, je me suis dit qu’il y avait quelque chose d’autre à explorer. L’envie d’imaginer une créature qui interpelle physiquement, qui dérange, qui laisse un impact. J’ai donc décidé de garder ma barbe pour accentuer le trait, c’est le cherry on top of the cake. La barbe renforce le coté ovni, étrange. Un sentiment de peur de prime abord qui se dissipe par l’échange qui s’en suit et laisse tomber le voile.  Bertha, c’est Bertha, et n’a nul besoin d’étiquette. Bertha utilise tellement de codes : à la fois femme, burlesque, clownesque. L’identité Draglesque, par l’effeuillage lui conviendrait le mieux. Car il ne faut pas oublier que le burlesque c’est aussi une émancipation de la femme. » Campée par un homme, en drag, barbu sans forcement de poitrine, ni de perruque… la normalité est repensée ! C’est ça la conscience politique qui transparaît dans l’art de la Big Bertha. Un acte émancipateur, une drag qui attire l’attention, phénomène de foire, qui montre son corps et l’accepte, en fait un objet de regard et d’interrogations. Le jeu est salutaire pour l’acteur tout autant que le spectateur. Freak, joli monstre, différent, il propose un monde sans limite comme celui qu’il a bâtit avec les Big Bertha’s Club qui pendant 4 ans ont envahi le Yono, et surtout trouve son paroxysme dans les Fantasia, un spectacle participatif et festif à la croisée des chemins du monde créatif et circacien.

Une galaxie

Et derrière ces créatures, c’est tout un monde qui se déroule. Celui qui laisse une carte blanche à la créativité et à la technique déployées par Axel Boursier, costume designer qui est tombé dans la marmite Drag lors d’une soirée. La fascination a été totale : « c’est un univers où l’on peut partir dans l’essence de ce que liberté signifie, une folie douce et une extravagance sans limite. Je les aide à faire passer des messages. Les artistes les façonnent et moi je les accompagne pour le réaliser. Si c’est un drag politique, le costume doit servir la performance, il n’est pas juste un décorum. Le costume doit faire complètement sens complet avec le numéro ou la manifestation. Je suis quelqu’un de l’ombre. Je Je fais tout pour que tout se passe bien ». Son implication est tout autant conscientisée que celle des artistes avec qui il collabore : « le drag, c’est une libération du genre. Ne plus avoir peur d’être jugé pour être ce que l’on est. Le transgressif s’efface pour être tout simplement soi. Les costumes drags sont très politiques, ils matérialisent le message porté par l’artiste. »

Mais comment exister dans ce monde où de nouvelles drags apparaissent tous les jours.  Et bien tout passe par l’image que les réseaux sociaux reflètent. Axel Boursier en a besoin : « les réseaux sociaux sont importants aussi pour faire connaitre mon travail, je demande à la drag de me citer sur les créas.  L’important c’est de faire vivre la pièce ! ». Et pour se faire, le photographe Jean Ranobrac a donné une nouvelle dimension à la visibilité des drags en posant un style malgré lui à l’image drag : « je suis un rouage dans leur création, mais je leur laisse la main mise, je les accompagne. Ils décident. Leurs caprices, leurs exigences.  Tellement de manière de vivre le drag : renommée, exutoire, performance… ». Il laisse sa porte ouverte aux drags en quête de clichés soignés. Lui qui s’est laissé porter par le mouvement drag, observe le web comme une reconnaissance locale. « Les drags ont besoin d’images, je suis là. Il semble que le nombre de followers compte plus parfois qu’un bon look ou une bonne perf. » La donne a changé. La représentation prime à tous prix. C’est pour cela que lors des soirées Kindergarten qui ont lieu tous les deux mois, il pose son objectif devant un photo-call dédié et immortalise les looks. Sur les 4000 clichés par soir, 10% seront retenus et feront le bonheur des participants sur le site de l’évènement.

Drags, créatures, club kids

Justement dans ces soirées, les tenues sont plurielles, les personnalités singulières et le concept unique. Thibaut, l’initiateur des Kindergarten qui se déroulent tous les 2 mois depuis 2 ans et plus de 20 nuits agitées, détaille le fonctionnement : « la Kinder, c’est un point d’encrage. Le genre ne m’intéresse pas. Ici la prévention sur le consentement, l’homophobie, la transphobie sont règle et le club éveille les consciences. La médiatisation et la communication permettent de rendre compte et politise ainsi l’action entreprise. Quand t’es overlooké avec des talons et une barbe… tu remets en question tes valeurs et ton point de vue. Quand tu es une créature, tu fais du politique sans le savoir, c’est forcément militant ». 

Miss Sue et La Chose, créatures iconiques des nuits parisiennes des années 90, regardent cette mutation du monde drag, avec bienveillance. « Nous n’avions pas de message à l’époque. Il y avait moins d’homophobie, on était vu comme du divertissement et nous étions acceptés. Avec notamment Mercedes et Taïra, on faisait rire. C’était avant tout festif que d’être drag. Pas n’avions pas de messages politiques à défendre, à revendiquer, on était que dans la fête. Partout où nous passions, nous étions la caution d’une bonne soirée. L’envie n’était pas de se ressembler comme les drags le font aujourd’hui, nous ne cherchions pas à être femme à tous prix, loin de là. Des personnalités fortes, un délire collectif, voilà ce qui nous animait. RuPaul a imposé des codes et influencé une vision de la femme fatale. Nous, vous évoluions au gré de nos envies. Très différents et aussi très complémentaires à la fois », déclare Stéphane aka Miss Sue qui a raccroché les talons et les wigs. Pour Eric alias La Chose qui va reprendre du service le 30 novembre avec une nouvelle soirée baptisée Psychose avec DJ et drags de l’époque, le coté underground primait : « j’aimais bien le côté masculin-féminin, avec une crète et un style punk qui nous permettait de se laisser aller, d’être parfois incontrôlables et parfois provocateurs ». Happenings décalés, performances déjantées, « où nous étions des animations de de discothèque, les drags actuelles ont la chance qu’on leur ouvre des scènes. Nous étions les piliers des boites, nous étions l’âme des soirées. Aujourd’hui, elles sont sur scène, elles performent, elles laissent exprimer leur art, leur créativité et quand elles ne performent pas, on ne les voit pas. Alors que nous, on voulait s’amuser, nous étions 7/7 jours dehors. », renchérit Stéphane.

Ambassadrices

Tout n’est qu’évolution. La Drag Agency montée par Fabien Lesage est l’exemple même du changement de dimension du rôle prêté aux drag queens. Là, où jeux, fantaisie et déconne guidaient avant tous les drags d’antan ; en 2019, elles se font représenter pour défendre leurs intérêts quand un booking tombe. Celui qui a été le premier a organiser des soirées où l’on pouvait voir à Paris le show RuPaul Drag Race juste diffusé aux USA et aussi le créateur des fameuses soirées Jeudi Barré. Qualifié Prince des soirées drag-queen parisiennes par le magazine en ligne street-presse, Fabien connait bien le milieu. Avec plus de 55 drag-queen différentes à être venues performer à sa soirée, il veut avec son agence permettre aux drags de se concentrer sur la dimension artistique de leur prestation.  Il s’est donc constitué agent afin de les les représenter et leur permettre de vivre de leur art. Né en mai, Drag Agency compte dans son catalogue 16 drags qui se répartissent sur des prestations diverses :  soirées avant tout, mais aussi des salons, des films, des pubs, des marques… « Avoir un agent pour ne pas se faire exploiter, voilà le coté militant de cette entreprise », précise-t-il. On y retrouve des personnages phares du drag made in Paris comme Cookie Kunty, Alice Psycho, Calypso Overkill, Hitsublu, Maryposa, Le Filip pour ne citer qu’eux. « Voir des drags c’est beau, c’est du sexy dans une soirée, c’est des paillettes, du fun. Mais c’est surtout que les filles puissent en vivre et ne se sentent pas exploiter. Ça représente tellement de taff dans leur vie », résume Fabien.

Être drag est un engagement à part entière. Oser se maquiller, se créer une tenue, parader, créer une chorégraphie, un lipsynch nickel, des heures de travails, de persévérance et de patience pour mettre en place son personnage, c’est déjà du militantisme. Moyen d’expression personnelle pour certains, volonté artistique pour d’autres, désir de s’accomplir, de se révéler, de se découvrir… le drag pénètre petit à petit l’inconscient collectif pour offrir un terrain qui déconstruit les modèles imposés par une société hétéronormée et binaire. « Il faut avoir conscience du carrefour des luttes que le drag porte : racisme, sexualité, genre, femme. Être au croisement de tout cela et pouvoir porter cette intersectionnalité est le bagage de chaque drag. Une conscience collective qu’il faut entretenir » expose Clémence Trü. Cela étant, un long chemin reste encore à faire, notamment coté diversité et inclusion. Là où les frontières disparaissent, les queens racisées sont invisibilisées. Et Clémence de conclure : « On est face à une vraie problématique. Le drag a encore du mal à se déconstruire des pressions que la société nous impose. La scène parisienne manque de couleurs. Il faut leur donner de la visibilité. Ce n’est pas à elles d’aller la chercher, mais à nous de les amener dans la lumière ».

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